• Nietzsche
La valeur inestimable de la contrainte
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Le contexte :

Dans ce texte extrait de "par delà  bien et mal", nietzsche remet en question l'idée que la morale est une tyrannie et affirme que c'est au contraire la contrainte qui permet à  la liberté et à  la créativité de s'exprimer. selon lui, c'est grà¢ce à  cette contrainte, que ce soit dans le langage, l'art ou la morale, que des valeurs telles que la vertu, l'art et la raison peuvent émerger.

L' auteur :

Nietzsche

(1844-1900) Répond aux attaques faites à l'encontre de la philosophie à son époque : elle serait inutile et incertaine, contrairement aux nouvelles sciences expérimentales et humaines. Toute sa philosophie vise à contredire cette invective.

Le repère :

obligation/contrainte

Le texte :

« Toute morale est contraire au laisser-aller, c'est une tyrannie qui s'exerce sur la �oenature” et aussi sur la �oeraison” ; ce n'est pas pour autant une objection, à moins qu'on ne veuille décréter au nom de quelque autre morale l'interdiction de toute tyrannie et de toute déraison. L'essentiel de toute morale, ce qui en fait la valeur inestimable c'est qu'elle est une longue contrainte. […] Il faut se souvenir que c'est toujours par l'effet d'une contrainte que le langage est parvenu à acquérir vigueur et liberté : contrainte métrique, tyrannie de la rime et du rythme. Que de peines se sont données dans toutes les nations les poètes et les orateurs, sans en excepter quelques prosateurs de nos jours, dont l'oreille est d'une exigence inexorable ! […] Si étrange que cela puisse sembler, tout ce qui existe et a jamais existé sur la terre, en fait de liberté, de finesse, d'audace, de danse et de magistrale assurance, que ce soit dans la pensée proprement dite, dans l'art de gouverner, de parler ou de convaincre, dans les arts ou dans les morales, n'a jamais pu fleurir que sous la tyrannie de ces �oelois arbitraires”. Et je le dis très sérieusement, selon toute apparence c'est la contrainte qui est la nature ou le naturel, et non pas le laisser-aller. Tout artiste sait par expérience combien il est loin du sentiment du laisser-aller, quand il est dans l'état qui lui est le plus �oenaturel”, l'état d'inspiration, où en pleine liberté il ordonne, dispose, agence et construit. Avec quelle rigueur et quelle précision délicate il obéit justement alors à de multiples lois dont la rigueur et la précision le mettraient au défi de les formuler en concepts ; comparé à ces lois, le concept le plus ferme a quelque chose de flottant, de complexe, d'équivoque. Pour le dire encore une fois, il semble que l'essentiel �oeau ciel et sur la terre” soit d'obéir longuement et toujours dans le même sens ; il en résulte, il finit toujours par en résulter quelque chose pour quoi il vaut la peine de vivre : vertu, art, musique, danse, raison, spiritualité, quelque chose d'illuminant, de raffiné, de fou, de divin. »
Nietzsche, Par delà Bien et mal

Les questions :



[A] - Questions d'analyse:
1) Quelle est la définition de la morale selon l'auteur ?
2) Comment l'auteur caractérise-t-il la morale par rapport à la "nature" et à la "raison" ?
3) Quels sont les exemples donnés par l'auteur pour illustrer le r��le de la contrainte dans le développement du langage ?
4) Selon l'auteur, quels sont les domaines o�� la contrainte a favorisé l'épanouissement de la liberté, de la finesse et de l'audace ?

[B] - Éléments de synth��se:
1) Expliquez en quoi la contrainte est essentielle pour le langage selon l'auteur.
2) En se basant sur les arguments de l'auteur, dégagez l'idée principale du texte ainsi que les étapes de son argumentation.

[C] - Commentaire:
1) Selon vous, pourquoi la contrainte est-elle nécessaire pour développer la liberté, la finesse et l'audace ?

L'analyse :

Voici un exemple de développement possible : dans ce texte, nietzsche défend l'idée que la morale n'est pas une entrave à la liberté, mais au contraire une condition de son épanouissement.

Il s'appuie pour cela sur une analogie entre la morale et l'art, et sur une critique du laisser-aller comme étant contraire à la nature.

Il commence par affirmer que toute morale est une tyrannie qui s'exerce sur la nature et la raison, mais que cela n'est pas un argument contre elle, sauf si l'on admet une autre morale qui interdirait toute tyrannie et toute déraison.

Il suggère ainsi que la morale est inévitable et qu'elle n'a pas à se justifier par rapport à un critère extérieur.

Il souligne ensuite l'essentiel de toute morale, qui est d'être une longue contrainte.

Il valorise ainsi la dimension temporelle et volontaire de la morale, qui implique un effort soutenu et une discipline.

Il illustre ensuite son propos par l'exemple du langage, qui a acquis sa vigueur et sa liberté grâce à la contrainte métrique, à la tyrannie de la rime et du rythme.

Il montre que les poètes et les orateurs se sont donné beaucoup de peine pour respecter ces règles arbitraires, qui ont permis de créer des £uvres d'art.

Il élargit ensuite son propos à tout ce qui existe en fait de liberté, de finesse, d'audace, de danse et de magistrale assurance, que ce soit dans la pensée, dans l'art de gouverner, de parler ou de convaincre, dans les arts ou dans les morales.

Il affirme que tout cela n'a pu fleurir que sous la tyrannie de ces lois arbitraires.

Il renverse ainsi l'opposition habituelle entre liberté et contrainte, en montrant que la contrainte est source de créativité et d'excellence.

Il termine en affirmant sérieusement que la contrainte est la nature ou le naturel, et non pas le laisser-aller.

Il s'appuie pour cela sur le témoignage de l'artiste, qui sait par expérience qu'il n'est pas dans un sentiment de laisser-aller quand il est inspiré, mais qu'il obéit à des lois multiples dont il ne peut pas rendre compte conceptuellement.

Il oppose ainsi la rigueur et la précision délicate des lois artistiques à la flottaison et à l'équivoque des concepts.

Il répète enfin sa thèse principale, selon laquelle l'essentiel au ciel et sur la terre est d'obéir longuement et toujours dans le même sens, ce qui produit des £uvres dignes de vivre : vertu, art, musique, danse, raison, spiritualité.

Il conclut sur une note élogieuse envers ces productions humaines, qu'il qualifie d'illuminantes, de raffinées, de folles et de divines.