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L’essence de l’art ne tient pas dans une reproduction du réel, puisque rien ne servirait d’avoir une reproduction si nous avons déjà l’original. Elle tient plutôt dans une objectivation de notre vie intérieure dans l’élément de l’apparence sensible, qui nous permet de prendre conscience de nous-même.
Notre finitude n’est pas quelque chose qui rend l’existence absurde. Au contraire, c’est le fait de se projeter vers notre mort qui nous permet d’avoir un rapport authentique à notre existence et qui lui donne son sens. C’est cette distinction entre l’authenticité et l’inauthenticité qui est décisive, non celle entre la foi et l’incroyance.
Le « je pense » n’est aucunement une substance. Descartes a été pris au piège de la grammaire, qui lui a fait conclure que le « je » avait une consistance propre, absolument séparée du corps.
C’est la conscience de soi qui fait de l’homme autre chose qu’une simple chose : une personne
Ce n’est pas la conscience de soi qui détermine la valeur morale d’un être, mais sa capacité à sentir – en particulier à ressentir du plaisir ou de la peine. Les animaux ne sont certes pas des personnes, mais cela ne les empêche pas d’être un objet de respect.
La liberté et la conscience ne sont pas de simples phénomènes subjectifs. Les contenus de la conscience sont déterminés par les conditions matérielles dans lesquelles vit l’individu ; la liberté, elle-même, n’est pas qu’un fait psychologique individuel, mais est l’objet d’une lutte collective d’essence politique.
Aucun contrat ne saurait me demander de sacrifier ma liberté individuelle. si l’obéissance à l’État est légitime, c’est dans la mesure où celle-ci n’est pas incompatible avec le fait d’être libre. l’État légitime est donc celui qui gouverne d’après des lois qui expriment la volonté générale, une volonté purement rationnelle qui est en chacun.
Marx pense que c’est par l’obéissance au parti qu’on arrivera à faire progresser l’humanité. Mais le parti, comme toute structure de pouvoir, a pour effet premier d’écraser l’individu qu’il domine, et donc de maintenir le problème qu’il promettait de résoudre. Il faut être plus radical, et refuser tout pouvoir, même celui du parti : il faut être anarchiste.
L’art n’est pas qu’une création de la raison et de l’intelligence humaine. Il implique toujours une dimension de folie, de laisser-aller, de débauche : une perte de contrôle qui permet précisément aux puissances du corps d’émerger dans ce qu’elles ont de créatif et de chaotique.
Les « symptômes névrotiques » devraient plutôt être considérés comme des apprentissages devenus inutiles. L’inconscient est d’abord un système de construction d’automatismes. C’est sur ses ressources infinies qu’il faut se reposer pour changer nos comportements, non sur le processus intellectuel de compréhension, qui laisse encore trop de place à la pensée consciente.
Nos façons de penser et d’agir sont profondément structurées par notre milieu social
Nous ne sommes pas condamnés à avoir un rapport purement passif à notre habitus. La connaissance sociologique a pour effet de dévoiler la réalité des rapports sociaux ; elle permet de mieux saisir ce que la société a fait de nous, et éventuellement d’imaginer d’autres possibles.
Le contrat social ne doit pas être vu comme un pur acte de nécessité, mais déjà comme un acte éthique, qui engage certaines valeurs. A l’intérieur même de notre engagement pour vivre ensemble se pose déjà la question de savoir comment répartir les différents biens sociaux, indépendamment de nos caractéristiques particulières. De ce point de vue, l’idéal de justice n’est aucunement postérieur au contrat social, mais le constitue.
Si le langage conditionne la pensée, c’est d’abord dans la mesure où le langage implique certains usages, certaines formules légitimées par leur circulation sociale. Si une façon de parler s’impose, c’est une certaine façon de penser qui s’impose avec elle. Klemperer étudie en particulier le cas de la langue du IIIe Reich.
Il faut distinguer deux usages du langage : le premier est utilitaire, le mot rend possible notre coexistence avec les autres. Le second est essentiel, et c’est cet usage qu’on retrouve dans la poésie : le mot est une idéalisation de son objet, par laquelle peut surgir la beauté purifiée de toutes les caractéristiques concrètes indésirables.
Se soumettre à son désir, c’est se soumettre à quelque chose d’extérieur à ma volonté (mon désir est pathologique, je le subis passivement comme constituant mon identité) : j’agis donc de façon hétéronome. La véritable liberté est autonomie : je dois me soumettre non à mon désir, mais à ma raison.
Le débat concernant l’existence du libre arbitre est en lui-même insoluble. Une « solution » est cependant possible si l’on distingue le plan du phénomène et le plan du noumène : nous ne pouvons connaître que des phénomènes, et donc la liberté elle-même (en tant qu’objet d’intuition intellectuelle) ne saurait être l’objet de la raison théorique. Son existence peut cependant être justifiée d’un point de vue pratique.
Il faut prendre garde à ne pas confondre les exigences subjectives de notre raison et la réalité des choses. Ce n’est pas parce que nous avons besoin du principe de non-contradiction pour penser que le réel lui-même n’est pas contradictoire. La pensée logique ne reflète pas la forme du réel : elle lui impose celle-ci.
Cette recherche d’une méthode absolument sûre et rationnelle est une nécessité quand il s’agit de chercher des vérités théoriques, mais elle n’est pas acceptable si l’on veut chercher des vérités en morale – parce qu’il faut bien vivre. Le temps de trouver celles-ci, il faut donc se contenter d’une « morale par provision » qui consiste à respecter les mœurs de son temps.
Une telle croyance rationnelle serait cependant inutile pour le salut. Par ailleurs, comment se forcer à croire ? Il faut faire comme on fait les autres croyants, se mettre à genoux et prier : c’est ainsi qu’on pourra « s’abêtir » et se rapporter à Dieu autrement qu’avec notre raison.
Le schéma de Kuhn implique qu’un cadre scientifique n’est jamais définitif, et qu’il pourra toujours être renversé par un nouveau paradigme plus puissant. Mais alors, on ne peut jamais être assuré du fait que nos théories sont vraies. Popper propose de remplacer l’idée de vérité scientifique par celle de vérisimilitude : une théorie vérisimilaire résiste robustement à la contradiction, et elle tient sa force des tentatives ratées de falsification.
En favorisant un raffinement artificiel et superficiel, le progrès scientifique éloigne les hommes de la vertu. Ses divertissements détournent les hommes de leur véritable bien et font ainsi le jeu des tyrans. Le savoir ne saurait être une valeur en soi ; il faut lui privilégier une ignorance et une simplicité vertueuses.
En compensant la débilité naturelle de nos corps, la technique nous permet de survivre
Le déploiement de la technique moderne n’est donc pas sans poser des problèmes moraux. Kant rappelle en effet que l’impératif moral fondamental, c’est de toujours considérer l’être humain en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen. Le respect de la personne humaine doit limiter le pouvoir de l’État sur le citoyen ou du patron sur le travailleur, dans leur usage des techniques de contrôle et de surveillance.
Le corps est cet ensemble de puissances ; il dépasse de très loin les puissances superficielles de la conscience. En particulier, le geste de l’artiste touche à l’inconscience – mais il faut voir que cette inconscience apparemment sans efforts est le résultat d’un travail et d’une attention constants.
Les individus ne sont pas toujours prêts à limiter leurs actions présentes au nom de bienfaits futurs très hypothétiques. L’éthique de la responsabilité de Jonas, pour être politiquement possible, peut nécessiter une dictature écologique, s’appuyant sur la science et visant les intérêts profonds de l’humanité.
Le travail moderne abrutit le travailleur en le privant de sa liberté et de son individualité. Il l’empêche ainsi de nuire aux autres, et en ce sens constitue la meilleure des polices. C’est parce que le travail a cette fonction de contrôle social qu’il est autant encensé par nos sociétés.
Si un brigand vient frapper à ma porte parce qu’il cherche un homme que j’ai caché chez moi quelques minutes auparavant, suis-je vraiment tenu de dire la vérité ? Pour Kant, je ne peux jamais justifier moralement mon action par ses conséquences, parce que celles-ci sont toujours incertaines.
Un objet devient une oeuvre quand il fonctionne comme symbole. L art contemporain est parfois déconcertant. Pour mieux se repérer dans le monde de l art et appréhender ce qui le caractérise, Goodman suggère de remplacer la question qu est-ce que l art ? par celle-ci, désormais peut-être plus pertinente : quand y a-t-il art ? .
Les œuvres d'art avaient autrefois un caractère unique et comportaient une dimension religieuse ou magique. Désormais, avec la possibilité technique de les reproduire, de les échanger et de les diffuser (par la photographie ou l'enregistrement sonore par exemple), les œuvres tendent à perdre leur dimension sacrée, leur « aura ».
La beauté ne se réduit pas à la satisfaction liée aux sens, toujours particulière et subjective ; dire c est beau , c est aspirer à partager avec les autres le plaisir ressenti devant une oeuvre. C est le jugement esthétique qui permet de dépasser le cadre de la sensation et d accéder à une dimension universelle.
Quel rapport l art entretient-il avec la morale ? Si Hegel admet que l art n est pas étranger à toute forme de morale, dans la mesure où il contribue à adoucir les moeurs, il met toutefois en garde contre ceux qui voudraient instrumentaliser l art pour le mettre au service d un but qui n est pas le sien.
Selon Nietzsche, l artiste a tendance à méconnaître sa véritable nature et à se mésestimer car il éprouve un sentiment d infériorité, notamment par rapport aux hommes d action qui se définissent par leur rôle efficace et utile dans la société. Par un renversement radical, Nietzsche tente ici de montrer l infinie supériorité des artistes dans le rôle qu ils peuvent avoir au sein même de la société.
L art peut naître quand les mots ne sont pas suffisants pour exprimer ce que l on voudrait dire. Cela ne signifie pas pour autant que l art laisserait muet et couperait court à toute forme de parole, bien au contraire.
L accroissement du bonheur par la maximisation des plaisirs, promis par les utilitaristes, est une entreprise vouée à l échec, selon Max Scheler ; elle relève en effet d une conception superficielle du bonheur (réduite à sa mesure sensorielle), qui ignore les couches les plus profondes de la personne, où se joue pourtant la véritable béatitude.
Nous n aimons pas tant notre être que notre bien-être. Nous ne pouvons pas ne pas vouloir être heureux. Selon Malebranche, ce désir de bonheur est logé si profondément en nous que nous y sommes plus attachés encore qu à notre propre existence.
Le bonheur est indissociable d une perspective d accomplissement ou de réalisation de soi. Mais encore faut-il se demander ce qu est l homme et quelle est sa tâche en cette vie. L homme peut passer à côté du bonheur s il renonce à accomplir la tâche pour laquelle il est fait, par excellence, à savoir de mener une vie conforme à la raison.
Ne pas chercher à être heureux mais à se rendre digne du bonheur : Le devoir moral est désintéressé, et donne donc à l homme une fin qui ne peut être confondue avec la recherche du bonheur. Plutôt que de vouloir le bonheur à tout prix, l homme qui honore en lui la loi morale doit seulement chercher à en être digne.
Malheur à qui n a plus rien à désirer ! Le désir est illusoire parce qu il nous fait imaginer une réalité conforme à nos passions. Soit ! dit Julie à Saint-Preux dans cet extrait du roman La Nouvelle Héloïse ; dans ce cas c est dans le plaisir de désirer plus encore que dans le plaisir de posséder que se trouve le bonheur de l homme.
Le bonheur est d essence négative. Le bonheur n est jamais senti positivement, en lui-même, mais toujours relativement à un désir ou une souffrance qui l a précédé, et qu il apaise temporairement.
Descartes s appuie sur l expérience du doute radical (la supposition que tout ce au sujet de quoi nous pouvons imaginer le moindre doute est faux), pour établir l existence de sa propre pensée consciente. Le fait même de douter de tout établit cette existence : Je ne peux douter de mon existence comme être pensant.
Nous n avons aucune impression du moi. Critiquant implicitement Descartes, Hume montre que la conscience intime du moi est une fausse évidence. Quelque effort que nous fassions pour rentrer en nous-mêmes, nous ne trouvons jamais que des perceptions particulières à chaque fois différentes, nous ne rencontrons jamais le moi .
Dire Je Pense est une affirmation téméraire ! Loin d être une certitude immédiate, l énoncé qui dit Je Pense est lourd de présuppositions injustifiées.
La conscience me révèle un monde. Husserl s attache à décrire le phénomène de la conscience tel que nous le vivons dans l attitude naturelle : la conscience nous rend présent un monde d êtres et d objets dont l horizon déborde du contenu de notre perception immédiate.
La conscience n a pas de dedans . Se faisant ici le disciple de Husserl, Jean-Paul Sartre caractérise la conscience par son intentionnalité , le fait d être toujours dirigée vers un objet.
William James introduit sa conception du courant de conscience . La pensée n est pas une suite discontinue d états mentaux mais un flux continu dont l écoulement est rythmé par des haltes et des envolées.
La conscience est mémoire en ceci qu elle incorpore dans son présent et retient en elle-même toute la durée de l expérience passée.
Dans le cours d un argument destiné à montrer que l expérience consciente a un caractère subjectif qui ne peut pas être ramené aux propriétés objectives du cerveau ou du comportement, Thomas Nagel explique que nous ne pouvons pas nous représenter la conscience d une chauve-souris, l effet que cela fait intérieurement de percevoir le monde comme cet animal le fait.
La conscience nous élève au-dessus des bêtes. C est par sa capacité à se concevoir lui-même comme sujet de sa pensée que l homme acquiert sa dignité d homme, et devient ce que nulle bête ne peut être : une personne .
L homme, roseau pensant : Pascal met en évidence le paradoxe de l existence humaine, entre grandeur et misère. L homme n est rien au regard de l univers des choses non-pensantes qui le déborde de toute part, et pourtant, en s élevant par la pensée à la conscience de lui-même et de sa propre misère , il se révèle porteur d une grandeur et d une dignité que rien dans la nature non-pensante ne peut égaler.
Ayant défini la conscience comme le sentiment intérieur que nous avons de nos propres pensées et de nos propres actions, Locke montre que la personne , le sujet de la responsabilité morale et juridique, se définit essentiellement par la conscience. On ne peut imputer une faute à une personne que si celle-ci est capable, grâce à la conscience, de reconnaître les actes passés comme siens : ainsi la conscience nous rend responsables.
La conscience est notre guide moral. Rousseau donne la parole au vicaire savoyard , un ancien curé de campagne. L homme est, selon lui, doué d un instinct moral, la conscience.
Pour suivre la nature, je dois suivre ma nature d homme. Marc Aurèle se livre à un exercice spirituel reposant sur un dialogue intérieur. Il développe le thème de l appropriation (oikeiosis), pensée selon laquelle chaque être de la nature doit vivre selon sa nature propre afin d être en accord avec l ordre nécessaire du monde. Le devoir d un être doué de raison comme l homme, c est d agir au sein de la société, et non de rester couché !
Le visage d autrui exprime mon devoir. Le visage est à la fois vulnérable (car il est fait de chair) et inaltérable (car un être qui m échappe, autrui, s y donne à voir). Sa rencontre, d emblée éthique, me bouleverse en défiant paradoxalement mon pouvoir de tuer. Il exprime en moi, à travers son dénuement sensible, l infinie résistance qui énonce mon devoir.
L homme social doit tout à la société. Mon existence n est pas solitaire, mais sociale, et de ce fait morale. Je ne dois donc pas seulement prendre conscience des vices engendrés par certains de mes rapports sociaux, je dois aussi avoir une attitude éthique envers le corps social dans son ensemble, et reconnaître la dette que j ai envers la société.
La conscience morale n est rien d autre que la voix de la société. Le devoir se fait entendre en nous comme une voix mystérieuse, souvent attribuée à des divinités imaginaires, mais qui est en fait celle d un être supérieur réel : la société. La sociologie pourrait ainsi détenir la clé de notre existence morale.
La raison énonce la loi morale sous trois formulations. Dire que le devoir existe, c est dire que le sujet est obligé dès qu il se représente la loi morale, grâce à la raison, sous une de ses trois formes : 1. Un acte moral doit pouvoir être universalisable, l universalité étant la forme même de la loi. 2. Un être raisonnable, une personne, doit toujours traiter une personne comme une fin et non seulement comme un moyen. 3. La volonté autonome d un être raisonnable est d être uni avec tout autre être raisonnable sous une loi universelle.
Le devoir est absolument invariable. Pour Constant, ne pas mentir n’est qu’un impératif hypothétique (relatif aux conditions et aux conséquences) et un devoir est toujours l’envers d’un droit. Pour Kant, l’impératif d’un devoir est au contraire catégorique (indépendant des conditions et des conséquences) et le devoir ne répond pas au droit d’autrui mais d’abord à la dignité morale de l’humanité. Peu importe quand l’on ment, ou à qui l’on ment, mentir ne peut jamais être moral.
Je m’engage envers l’autre lorsque je le contrains moralement. Que faire lorsque l’autre se détourne de sa liberté, veut se nuire ou se tuer ? Loin d’appliquer une règle universelle, je choisirai d’être présent auprès de lui. Le soin que je prends d’un malade, d’un faible ou d’un désespéré ne m’ouvre pas des droits sur lui, mais des devoirs.
Le devoir de mémoire rend justice à l’autre. Notre devoir moral peut aussi s’étendre aux hommes du passé. Il prend alors la forme d’un devoir de mémoire animé d’un esprit de justice envers les victimes, devoir qui doit rester altruiste, lucide et désintéressé, et ne pas être confondu avec le travail des historiens.
L homme est par nature un animal politique. La cité – polis en grec – est naturelle à l homme selon Aristote, dans le sens où elle seule permet l accomplissement de sa nature propre. En effet, c est au sein de la cité que les hommes dialoguent ensemble afin d élaborer une communauté politique juste.
La séparation des pouvoirs, pour un État libre. Comment s assurer que l État aura bien pour fin la liberté ? La théorie de la séparation des pouvoirs, ou plus précisément de leur distribution, doit apporter les garanties nécessaires pour les citoyens.
Le doux despotisme tient les individus en servitude. Tocqueville, parti en Amérique afin d observer le fonctionnement d une démocratie naissante, nous met en garde contre les risques de doux despotisme pouvant menacer tout régime démocratique.
La politique doit reposer sur la connaissance du Bien et de la Justice. C est en ce sens qu elle constitue l objet d une véritable science. En toute logique, les véritables savants, que Platon nomme les philosophes-rois, seront les mieux placés pour gouverner : Le philosophe-roi doit gouverner
La démocratie est fondée sur le tirage au sort. Confier le pouvoir et l État à des experts et refuser par principe le tirage au sort, qui était essentiel à Athènes, n est-ce pas fondamentalement congédier la dimension populaire de la démocratie ? N est-ce pas une manière de se débarrasser du dèmos ?
Il est impossible d avoir une claire conscience de toutes les perceptions que nous avons en permanence. Les petites perceptions sont donc inconscientes, et pourtant elles produisent des effets en nous.
Selon Freud, le psychisme – c est-à-dire l ensemble de notre intériorité – ne coïncide pas avec la conscience. Nous vivons dans l illusion d une complète transparence à nous-mêmes, alors que nous sommes traversés de représentations et de pulsions inconscientes.
Les sciences cognitives – qui étudient le fonctionnement et les compétences du cerveau – font l hypothèse d un inconscient cognitif : nous n avons pas – ou très peu – conscience de tous les apprentissages complexes que notre cerveau élabore et active en permanence. Le sujet n a qu une vision partielle de lui-même.
La vie psychique ne se réduit pas à la conscience. Le sujet n a pas toujours conscience des raisons pour lesquelles il ressent certains affects ou pense certaines idées. Une partie de son activité psychique est inconsciente et pourtant agit sur lui.
L hypothèse de l inconscient est nécessaire. L inconscient est une hypothèse nécessaire qui s inscrit dans une démarche résolument scientifique.
L hypothèse de l inconscient est contradictoire. Sartre conteste absolument l hypothèse freudienne de l inconscient, qui est, selon lui, contradictoire : si c est la conscience qui effectue le refoulement, elle sait ce qu elle refoule. Il n y a donc pas d inconscient en l homme ; Sartre lui substitue le concept de mauvaise foi exprimant le mensonge que la conscience se fait à elle-même : lorsqu elle choisit sciemment d ignorer ce qui la dérange.
L hypothèse de l inconscient n est pas scientifique. La psychanalyse ne peut pas prétendre au rang de science car elle esquive par avance toute expérience qui la remettrait en cause. Or dans l optique de la psychanalyse, l expérience vient toujours vérifier la théorie : il est donc impossible de la contredire.
La nécessité de la morale contre les pulsions inconscientes. Selon Freud, l homme est naturellement un être agressif, en conflit avec ses congénères. Le rôle essentiel et difficile de la civilisation consiste à contenir cette agressivité primaire, notamment par des interdits moraux.
L idée d inconscient déresponsabilise le sujet. Pour Alain, l hypothèse de l inconscient est inutile : le recours à la complexité du corps, des instincts, suffit amplement à expliquer l obscurité que la conscience éprouve souvent. Elle est de plus nuisible d un point de vue moral parce qu elle tend à déresponsabiliser le sujet.
L inconscient symbolique, créateur des mythes fondateurs : Toutes les formes de socialisation dépendent d une structure universelle inconsciente à partir de laquelle s élaborent les grands mythes et les symboliques propres à chaque culture. Le subconscient est défini ici comme la manière propre à chaque individu de s approprier ces mythes et ces symboles.
L artiste et l inconscient créateur. Ferdinand Alquié expose le projet du poète surréaliste André Breton sur l écriture automatique. Elle est l expression de l homme dans sa totalité, elle en révèle la vérité.
Si la justice corrective suit un principe d égalité, comment le traduire dans la punition des crimes ? La sanction doit-elle être équivalente à la faute ? Dans ce texte, Kant affirme ce principe en faisant référence à la loi du talion, tout en apportant des conditions permettant de le distinguer de la vengeance : Kant indique alors qu il faut infliger un châtiment égal à la faute.
La justice paraît s opposer absolument à la force. Mais si l on reconnaît la relativité de la justice et si l on s intéresse à son efficacité, les choses deviennent différentes. C est ainsi que Pascal montre que toute justice stable procède de la force. La justice sans la force est impuissante.
S’opposant aux théoriciens du contrat social et aux sceptiques, Malebranche affirme que, loin d’être une convention relative, la justice est un ordre absolu renvoyant à Dieu : il existe une justice absolue.
Les particuliers ne sont pas juges des lois. Être rationnel, l’homme peut être tenté d’évaluer les lois et de n’obéir qu’à celles qu’il pense justes ou conformes à ses convictions. Pour Hobbes, une telle attitude serait dangereuse et oublierait que, en vivant dans une société politique, chacun a par avance accepté de conformer ses actions à la loi.
Appliquer la loi avec souplesse. Le respect de la loi est, avec l’égalité, l’une des manières de caractériser la justice selon Aristote. Mais cela n’implique pas que la loi soit un principe absolu. Au contraire, la loi ne pouvant préciser les conditions particulières de son application, il faut lui associer un correctif, l’équité.
Premier théoricien de la désobéissance civile, Thoreau considère que l’individu ne peut pas renoncer à son droit de regard sur les lois. Au contraire, à partir du moment où l’État agit aussi en son nom, le citoyen doit veiller à ne pas devenir lui-même l’instrument de l’injustice qu’il condamne : il ne faut donc pas consentir aux lois injustes.
La communication n est pas le propre de l homme. La communication animale est universelle et naturelle. Les humains eux-mêmes peuvent avoir toutes sortes d échanges sans recourir au langage verbal, qui n est qu un type particulier de langage, nécessitant pour sa part une éducation.
Un véritable langage doit témoigner de la pensée. La communication animale, qu elle soit naturelle ou résultat d un dressage, n est pas vraiment un langage, car elle n exprime que des états du corps et des passions, et non un rapport réfléchi de la pensée à elle-même. Si les animaux ne parlent pas, c est que, n ayant pas d âme, ils ne pensent pas.
Langage et technique vont de pair. Créer et utiliser des symboles, créer et utiliser des outils, cela repose sur une seule et même aptitude, acquise par l espèce humaine du fait de son développement cérébral. Ce lien entre langage et technique permet de mesurer la proximité et surtout la distance de l homme avec les autres primates, et des primates avec d autres animaux.
Des fonctions supérieures font le langage humain. Les hommes ne font pas que communiquer, ils échangent des connaissances et des arguments. Ce sont ces fonctions supérieures qui font la spécificité du langage humain et nous ouvrent le monde de la culture, distinct de ceux de la nature et du sentiment.
Le signe unit arbitrairement deux éléments psychiques. La langue n est pas liaison directe entre les mots et les choses. Elle consiste en signes, chaque signe unissant un concept abstrait (le signifié) et une sensation acoustique (le signifiant). Le signe n est pas imposé par la nature des choses ; il est arbitraire, institué par une convention différente selon les cultures.
Les langues ne renvoient aux choses que par l intermédiaire d un langage mental. Les termes écrits et parlés d une langue ne font que symboliser par convention les termes d un langage mental universel, langage de la pensée dont les concepts sont signes naturels des choses. Il est inutile d accorder à ces concepts, aux idées générales, d autre existence que mentale : seules les choses singulières existent en dehors de l esprit.
Le nom commun, à l origine du concept. À l origine des langues, il est peu probable que les noms aient été associés à des concepts déjà prêts dans l esprit humain. On doit supposer que les premiers noms ont été des noms propres, et que c est l usage du langage qui a permis la formation des idées générales.
La pensée naît de l échange langagier. Seuls les signes arbitraires permettent de développer la pensée. De tels signes ne peuvent être employés que lorsque l homme a compris ce que c est qu un signe, par l usage des signes accidentels et naturels dans la communication sociale. La pensée ne peut donc précéder le langage.
Le langage ne saurait exprimer une pure intériorité. Le fait que tout le monde parle de son expérience privée ne garantit en rien qu on parle de la même chose, ni même qu on parle de quelque chose.
Les jeux de langage : le sens, c est l usage. Si penser n est rien d autre qu utiliser les signes du langage, les signes eux-mêmes trouvent leur sens dans leur usage. Mais pour chaque mot, pour chaque situation, il y a un jeu différent à jouer. Loin d être un tout uniforme, notre langage quotidien serait une famille de jeux de langage plus ou moins complexes. Les plus simples valent d être examinés, ils nous libèrent d anciens préjugés sur le langage et la pensée.
La pensée n existe pas en dehors des mots. Ce qui est intérieur et préexiste au langage, ce n est pas la pensée, c est encore le langage. Chaque nouvelle expression combine de façon originale le matériau linguistique dont nous sommes tissés. La pensée est ainsi le sens, le mouvement de la parole, et non son intention préalable. Le langage est lui-même un être, et non un moyen de communication.
Le langage ne sert pas seulement à nous communiquer des idées à propos des choses. Il peut également servir à nous manipuler dès lors que nous sommes habitués à réagir à ses mots, même quand ils ne renvoient à rien de précis ni de réel. Le même mécanisme est à l oeuvre dans l argument d autorité.
Nous devons rester maîtres des mots. Le langage ordinaire, fixé au fil des siècles par la culture et les échanges, est marqué en profondeur par les erreurs du passé ; il oppose donc au progrès du savoir une extraordinaire résistance. Pour la surmonter, nous devons pouvoir réformer la langue de façon volontariste.
L homme libre est celui qui satisfait tous ses désirs. Calliclès, disciple du sophiste Gorgias, expose à Socrate sa conception de ce qui est bon selon la nature : être libre, c est donner libre cours à ses désirs et ses passions. Les conventions morales et sociales qui brident la liberté sont une invention des faibles.
La reconnaissance de la force de l impératif moral (comme celui qui nous interdit de porter un faux témoignage) nous révèle le pouvoir que nous avons de résister à tous nos penchants, y compris le désir de vivre que nous concevons comme supérieur à tous les autres : tu dois donc tu peux.
Les hommes ont conscience de leurs désirs mais le plus souvent sont ignorants des causes qui les déterminent. La liberté ne consiste pas dans la faculté de décider de manière arbitraire mais dans une libre nécessité , une nécessité comprise et assumée de l intérieur. L homme est ainsi d autant plus libre qu il comprend les déterminations dont il est l objet. Nous ignorons les causes qui nous déterminent.
Pour le sage stoïcien, il ne sert à rien de se révolter contre le destin, qui attribue à chacun son lot. Ce serait là la marque d un esprit faible, qui conçoit mal ce qui est réellement en son pouvoir et ce qui ne dépend pas de lui. Notre liberté consiste en l exercice de notre pouvoir sur ce qui dépend réellement de nous. On ne peut changer sa destinée.
Nous voyons le meilleur et nous faisons le pire. Comme le montre l exemple de l ivrogne, incapable de résister à son désir de boisson, ce n est pas le fait de savoir ce qu est le plus grand bien qui nous détermine à agir, mais l état d inquiétude et de manque créé par le désir et l habitude.
Fontenelle propose de voir la nature comme une sorte de théâtre de machines produisant des effets parfois étonnants à partir de rouages cachés à nos regards.
La théorie de l évolution, qui articule la modification aléatoire et la sélection naturelle, permet d expliquer les phénomènes biologiques sans recourir à l idée de finalité. Grâce à elle, Darwin relativise et explique aussi par des causes efficientes deux faits : la beauté naturelle et l apparente perfection des êtres vivants.
Comment articuler les phénomènes culturels et naturels ? L anthropologue et philosophe Claude Lévi-Strauss s intéresse à la manière dont la culture prend le relais de la sélection naturelle pour constituer un niveau spécifique de détermination.
Le devoir est toujours un devoir de l homme envers lui-même. La philosophie pratique de Kant pose que seules les personnes, c est-à-dire les sujets doués de raison, sont dignes de respect, car elles sont les seules à être des fins en soi. La nature se présente alors comme un objet de connaissance et comme un ensemble de moyens dont les hommes peuvent disposer à leur guise.
La plupart des modèles moraux traditionnels de l Occident sont anthropocentrés et se concentrent sur les devoirs des humains envers les autres humains. Hans Jonas propose un déplacement profond de l éthique en l étendant à un ensemble plus vaste, celui des êtres vivants partageant la nature.
Il y a une raison universelle pour tous les hommes. Malebranche soutient ici que les hommes participent tous à une même raison universelle, qui explique que certaines vérités leur soient communes.
La raison forme des concepts. Selon Schopenhauer, les manifestations de la raison dans la conduite humaine sont variées, mais elles dérivent toutes d un même acte premier, qui est de former des idées abstraites.
La religion naturelle consiste à trouver le sens singulier et personnel de la croyance en se fondant sur les facultés naturelles que sont le coeur et la raison. Pour Rousseau, les religions instituées sont autant de manières de nous éloigner d une expérience de la foi authentique. L homme est capable de saisir le divin en lui-même.
Pour Averroès, l homme, créé par Dieu, est un être doué de raison : il serait donc illogique que la religion nous demande de renoncer à notre faculté de penser. Dans cette perspective, la foi et la raison ne sauraient s opposer. Il n y a aucune concurrence entre la raison et la foi
Bergson montre que la religion détermine toujours une perspective morale, mais aussi que religion et morale peuvent avoir deux sources radicalement différentes. La première source réside dans la nécessité de ressouder les sociétés humaines fragilisées par les consciences individuelles. La seconde source réside dans une impulsion émotionnelle et originelle, qui se laisse inspirer par des figures exemplaires et qui oeuvre pour l humanité tout entière.
Shaftesbury nous met en garde contre l idée que tout homme pieux et religieux serait nécessairement irréprochable moralement. Selon lui, il faut distinguer soigneusement la morale et la religion.
Pour Lévinas, il n est pas certain que l intolérance religieuse soit un phénomène appartenant au passé. En effet, toute religion n est-elle pas par essence persuadée de détenir la vérité à l exclusion de tout autre ? N y a-t-il pas là le germe de l intolérance, de l exclusion, voire de la violence ?
Aristote s attache à définir l objet propre de la science : non pas les faits individuels que nous percevons par la sensation, mais les propriétés universelles, qui s appliquent à tous les cas d un même genre ou d une même espèce, et permettent d en faire voir la cause. Il n y a de science que de l universel
La science décrit l évolution de systèmes organisés. François Jacob adopte une perspective large sur l objet des sciences – les sciences de la nature, qu elles soient physiques, chimiques ou biologiques, s intéressent à des organisations , plutôt qu à des faits ou des entités simples, et elles en étudient l évolution.
Les descriptions de la science présentent le monde sous un jour qui n est pas familier et qui semble même contre-intuitif. L image manifeste, sensorielle, et l image scientifique d une table sont si différentes l une de l autre qu on est enclin à penser qu elles décrivent deux objets distincts.
Bacon montre l importance que revêt l expérience lorsqu elle est raisonnée. Il compare le travail de la science au butinage : il s agit non pas de recueillir des faits bruts, ni d élaborer des théories purement intellectuelles, mais de s approprier et transformer les contenus de l expérience en les assimilant à la raison.
Dans la préface de la Critique de la raison pure, Kant tire une leçon fondamentale de l exemple des grandes découvertes scientifiques : c est seulement lorsque la raison prend les devants sur l expérience qu elle parvient à dégager les lois de la nature. La science, c est forcer la nature à répondre à nos questions.
Les énoncés scientifiques doivent pouvoir s exposer à la réfutation empirique. Popper cherche le critère qui permet de dire quand un énoncé portant sur des faits d expérience est un énoncé scientifique. Ce critère est la réfutabilité : le fait pour un énoncé, non pas d être réfuté par une expérience, mais de pouvoir l être.
Les phénomènes sociaux ne sont pas prédictibles. Les sciences sociales ne peuvent pas devenir des sciences prédictives. Bien que les phénomènes sociaux soient soumis à des lois exactes, les données et les circonstances qui influent sur le développement d une société sont trop nombreuses.
La technique, un auxiliaire au dénuement naturel de l homme. Platon donne la parole à Protagoras, sophiste grec, pour raconter le mythe de Prométhée, récit fictif qui confère à l homme une place particulière parmi les animaux.
Contrairement à ce qu affirme Protagoras dans sa version du mythe de Prométhée rapportée par Platon, Aristote montre que l homme n est pas le moins bien loti des animaux, bien au contraire : l intelligence humaine permet de développer les fonctions de la main, premier de tous nos outils.
On pense généralement que l intelligence humaine trouve dans les sciences son expression la plus rigoureuse. Pour Bergson, cette forme d intelligence en suppose une autre, l habileté technique tournée vers la fabrication d outils. Ainsi, grâce au perfectionnement des techniques, l homme se modifie lui-même et modifie son rapport au monde.
Pour Mauss, nos comportements physiques relèvent de techniques du corps dont la source est à la fois biologique et sociale. Elles sont une sorte d habitus, un ensemble de comportements acquis par l éducation et les normes sociales qui structurent et organisent notre manière de nous rapporter au monde et aux autres.
Selon Heidegger, les techniques traditionnelles s’inséraient sans les modifier dans des processus naturels, alors que les techniques modernes marquent une rupture. Elles remodèlent la nature afin de la soumettre aux intérêts humains et d’accumuler la plus grande quantité possible d énergie et de matières premières.
Toute invention technique est-elle nécessairement un progrès ? Dans le Phèdre, Platon évoque le mythe de Theuth, une divinité à laquelle les Égyptiens attribuaient l invention de l écriture. C est en utilisant lui-même l écriture que Platon dégage l ambivalence de cette technique : il la présente comme un pharmakon, terme qui désigne, en grec, à la fois un remède et un poison.
Réfléchissant aux conséquences de la révolution industrielle sur le sort des travailleurs en usine, Marx met au jour une distinction centrale entre l outil et la machine : le premier exige du travailleur des compétences et un savoir-faire, la seconde ne requiert qu une force de travail mise à son service. Le machinisme rend le travail industriel aliénant : l ouvrier est asservi et dépossédé du produit de son travail.
Certains problèmes techniques (Comment effectuer une fécondation in vitro ? Comment prélever ou greffer un foie ou un coeur ?…) conduisent à des problèmes d ordre juridique, mais aussi d ordre moral. Les médecins, et finalement la société tout entière, se trouvent placés devant des responsabilités inédites. La notion de problème n a dès lors pas le même sens s il s agit de technique ou d éthique.
Dans les Principes mathématiques de la philosophie naturelle, Newton offre ses définitions du temps et de l espace, distinguant temps et espace absolu et temps et espaces relatifs. Cette distinction permet de définir le cadre spatio-temporel de la physique classique, cadre remis en cause au XXe siècle avec la découverte de la relativité restreinte.
La théorie de la relativité établie par Einstein au début du XXe siècle affirme qu il n existe aucun système de référence universel par rapport auquel on puisse mesurer un mouvement et que le temps est relatif à la position des observateurs. Alors que la physique classique pense le temps comme un invariant, la science actuelle l envisage comme un devenir ouvert et irréversible.
À observer le cours général de l histoire, il semble parfois difficile d y trouver un ordre, une logique et davantage encore un sens, tant les guerres sont nombreuses et les catastrophes fréquentes. Pour autant, ces désastres, tant physiques que moraux, sont-ils incompatibles avec toute forme de progrès ?
Il est faux de dire que certaines civilisations sont moins avancées que d autres.
Le travail altère les dispositions de l homme libre. Dans le cadre d une réflexion sur l éducation et la politique, Aristote compare les différents arts (métiers) pour évaluer leur valeur formatrice. Or les arts utiles peuvent, par leur côté laborieux, atrophier les dispositions corporelles et intellectuelles de l homme libre, surtout lorsqu il s agit de travailler pour d autres.
L homme se construit par le travail. Le travail transforme la nature mais, selon Marx, il transforme aussi l homme lui-même. En travaillant, l homme actualise ses dispositions, y compris celles qui lui sont propres et concernent la conscience et l esprit. C est donc par le travail que l humanité se construit.
L homme se construit par le travail. Le travail transforme la nature mais, selon Marx, il transforme aussi l homme lui-même. En travaillant, l homme actualise ses dispositions, y compris celles qui lui sont propres et concernent la conscience et l esprit. C est donc par le travail que l humanité se construit.
L homme s élève à une liberté nouvelle par le travail. Dans la dialectique du maître et du serviteur, Hegel examine la transformation d une première soumission en liberté positive. Par son travail, le serviteur obéit certes à son maître, mais il se constitue comme acteur en dépassant son désir immédiat. Par là, le serviteur s élève à une liberté nouvelle, celle du sujet prenant conscience de lui-même à travers ses oeuvres.
La production capitaliste transforme l ouvrier en objet. Si l homme se construit par le travail, l ouvrier, dans le contexte de l usine, se perd dans son travail. Pour Marx, l économie moderne conduit l ouvrier à s aliéner dans l acte même de production : en produisant une marchandise abstraite, qui ne lui appartient pas, l ouvrier se trouve dépossédé de sa propre réalité.
On ne peut pas mettre en cause la vérité sous prétexte que tout pouvoir tend à faire passer pour vraies les croyances qui peuvent le renforcer.
L'expérience artistique redessine la centralité du corps dans nos vies car l’oeuvre d’art s’inscrit dans un support matériel qui, lui aussi, est corps.
Si les tourments de la volonté nous condamnent au malheur, tout bonheur est impossible
L’existence, à l’intersection de l’aventure, de l’ennui et du sérieux, rend compte de l'exigeance du bonheur.
La pensée, distincte de l’imagination, est un attribut qui m’appartient , qui seule ne peut être détachée de moi.
Si une personne est sujette à de nombreux changements physiques et psychiques au cours du temps, il semble acquis qu’elle reste une seule et même personne. Quel est donc le fondement de son identité ? Serait-ce la continuité de la conscience de soi ?
À la fin du livre III de De la recherche de la vérité, Malebranche distingue différentes manières de voir les choses , c est-à-dire de les connaître. La théorie de la vision en Dieu , dont le présupposé est théologique, implique, sur le plan philosophique, qu il serait possible de connaître de façon certaine des vérités mathématiques, physiques et morales par idées claires et distinctes. De ce genre de connaissance, Malebranche distingue ici la connaissance par conscience, ou par sentiment intérieur.
Mettant à l’épreuve la méthode introspective, par laquelle le sujet pourrait se contempler lui-même, Hume pose les jalons d’une critique radicale de la compréhension du moi comme substance homogène. Questionnant l’idée que nous avons du moi, le philosophe se demande si cette idée correspond bien à une perception d’un moi unique et uniforme.
Après avoir montré l’importance morale de la capacité à reproduire, en imagination, les sentiments et la situation d’autrui – ce que l’on appelle sympathie –, Smith explique, dans la troisième partie de la Théorie des sentiments moraux, comment le sujet peut se prendre lui-même pour objet d’évaluation morale. Il recourt à la notion de spectateur impartial , véritable personnification de la conscience morale.
Quelle est l’origine de l’attachement fragile des hommes au bien et à la moralité ? Rousseau, dans le livre IV de l’Émile, soutient qu’ il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises : la conscience.
Dans ses Remarques générales sur l’Esthétique transcendantale , Kant souligne que l’intuition ne nous fait connaître que des rapports entre des phénomènes et non la chose en soi, qui serait la chose vue indépendamment de la manière dont elle nous apparaît. Il en tire alors les conséquences en ce qui concerne l’intuition interne .
Le retour réflexif sur soi, l’introspection, est une façon de développer la conscience de soi. Mais il est une autre voie, dont l’importance est généralement sous- estimée : la pratique, qui suppose une relation à ce qui est hors de soi. Comment peut- on prendre conscience de soi- même par l’extériorité ?
Comte s’intéresse à la constitution d’une psychologie scientifique, d’une véritable science de l’esprit humain. C’est dans ce contexte qu’il interroge les prétentions de l’esprit à donner une véritable connaissance de soi.
Toutes nos actions sont au fond incomparablement personnelles, singulières […] mais lorsque nous les traduisons en conscience, elles ne semblent plus l’être , remarque Nietzsche dans Le Gai Savoir (§ 354). Approfondissant ce paradoxe, le Solitaire de Sils-Maria remonte à l’origine d’une conscience que nous croyons souvent innée et essentielle à l’homme.
La conscience de soi est temporelle de part en part : réfléchissant à la notion de durée, Bergson pose la question d’une supposée menace d’hétérogénéité qui pèserait sur le moi.
James, au début du huitième chapitre des Essais d’empirisme radical, indique : je voudrais vous communiquer quelques doutes qui me sont venus au sujet de la notion de conscience qui règne dans tous nos traités de psychologie .
En 1905, constituant une phénoménologie de la conscience intime du temps, Husserl médite la métaphore – promise à une fortune certaine au xx e siècle – du flux de la conscience. Est-ce une métaphore seulement ?
Distinguant le mode d’être des choses et le mode d’être de la conscience, Sartre avance que le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où cet encrier est encrier . Sartre développe alors une description de l’attitude et des gestes de ce garçon de café et pose le problème du jeu de la conscience.
Depuis Cicéron dans les Tusculanes (II, 64), la métaphore du théâtre intérieur a permis de qualifier la conscience, conjointement dans ses dimensions représentative et morale. Jankélévitch reprend et discute cette tradition.
Pour Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque, la question morale n’est pas, ou pas seulement, que dois-je faire ? , mais qui suis- je, qui fais ce que je fais ? . Dès lors, la morale s’entend comme un équilibre entre des excès et des défauts, équilibre qui relève autant de la règle en elle- même que du caractère de la personne. Comment caractériser cet équilibre ?
Parmi toutes les actions qui constituent les pratiques humaines, une discrimination fine doit être opérée. Certes, le bien, dans la tradition stoïcienne, se résume à l’action vertueuse, c’est-à- dire harmonieuse. Mais cette caractérisation du bien nous dispense- t-elle de faire la part entre des actions qui sont préférables, que Cicéron nomme offices , et des actions non préférables, dont il faut se prémunir ?
Dans la troisième antinomie de la Critique de la raison pure, Kant tente d’éviter la contradiction entre la nécessité absolue et la liberté. Il soutient qu’il est possible de considérer tout acte selon deux points de vue : celui de la causalité déterministe, par laquelle on remonte la chaîne des causes qui ont produit l’acte, et celui de la causalité par liberté. L’acte peut alors être imputé à un agent autonome, qui se détermine lui-même par rapport à ce que lui dicte sa raison.
D’après Kant, la loi morale est un fait de la raison qui prescrit formellement ce que nous devons faire. Objectivement, elle se présente donc comme un principe contraignant nos inclinations. Est-ce à dire que subjectivement, agir par devoir ne procure qu’un sentiment de peine et de soumission ?
On accomplit son devoir, selon Kant, lorsqu’on agit avec l’intention de respecter la loi morale, formulée sous la forme d’un impératif catégorique : Agis uniquement d’après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle . Dans le chapitre iii de la Critique de la raison pratique, Kant prend soin de distinguer cette action accomplie par devoir d’un fanatisme moral, qui menace la vie éthique.
Bentham, dès les années 1770, se montre soucieux de refondre les principes du droit et de développer sa codification. Dans l’Introduction aux principes de morale et de législation, il discute le principe d’utilité, défini comme le principe qui approuve ou désapprouve toute action, quelle qu’elle soit, selon la tendance qu’elle semble avoir à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu .
L’évaluation morale d’une action porte aussi bien sur ses conséquences objectives que sur les intentions subjectives qui la gouvernent. C’est dire que l’exercice ne va pas de soi. Et il se complique encore si l’on considère la possibilité de conséquences involontaires. Dans quelle mesure sommes-nous moralement responsables des suites imprévues, et parfois imprévisibles, de nos actions ?
Dans L’Utilitarisme, Mill répond aux objections adressées à une philosophie morale fondée sur la maximisation de l’utilité au plus grand nombre. Entre autres critiques, on objecte à l’utilitarisme son incapacité à fonder des principes moraux, tel le devoir de véracité qui semble prescrire certaines actions contre l’utilité, qu’elle soit personnelle ou collective.
Dans L’Intention, Elizabeth Anscombe critique la conception ordinaire de l’intention comme état mental interne antérieur à l’action et cause de l’action. Son argumentation réactualise la distinction aristotélicienne entre raisonnement théorique et raisonnement pratique. C’est dans ce contexte qu’elle analyse la différence entre le jugement et la volonté, le vrai et le bien.
Dans Le Savant et le Politique, Weber propose de distinguer l’attitude du savant de l’attitude de l’homme politique, engagé dans l’action et nécessairement confronté à son caractère contingent. C’est dans ce cadre qu’il envisage une éthique de la responsabilité qui serait le propre de l’homme politique, attentif aux circonstances et aux conséquences de son action.
Par suite de certains développements de notre pouvoir […] l’agir humain s’est transformé , affirme Jonas dans Le Principe responsabilité. Dans la mesure où l’éthique a affaire à l’agir, n’est- il pas nécessaire de reconnaître de nouvelles obligations éthiques envers l’humanité et la nature ?
Dans les Discours, Machiavel cherche à identifier les conditions sous lesquelles les républiques peuvent se maintenir. Il propose une analogie entre la cité et le corps, s’inspirant de la théorie médicale de Galien, pour qui la santé consiste dans l’équilibre dynamique des humeurs du corps. Comment donc retrouver cet équilibre, toujours en péril ?
Selon Hobbes, l’individu, dans l’état de nature, se trouve dans une situation de crainte permanente, puisque rien n’empêche autrui de se servir de sa puissance comme il le souhaite. Si cette condition complique l’institution d’un État, elle rend aussi nécessaires des conventions mutuelles, par lesquelles les individus renoncent à leur droit naturel de s’administrer eux-mêmes.
Au début du chapitre xvi du Traité théologico- politique, Spinoza affirme que le Droit Naturel de chaque homme se définit non par la saine raison, mais par le désir et la puissance . Dès lors, l’obéissance raisonnée à un souverain, fût- ce dans un État démocratique, ne serait- elle pas contraire à la liberté ?
Exilé à Amsterdam, fuyant les persécutions menées par Charles II contre les Whigs, qui soutenaient l’importance du parlement face à l’absolutisme royal, Locke rédige la Lettre sur la tolérance, dans laquelle il entreprend de séparer ce qui regarde le gouvernement et ce qui appartient à la religion .
Au paragraphe 159 du Second Traité du gouvernement, Locke indique qu’il y a bien des choses auxquelles les lois ne sauraient pourvoir par aucun moyen ; il faut donc abandonner [ces choses] à la discrétion de celui qui a en mains le pouvoir exécutif . Mais comment conjurer le risque d’un tel abandon ?
Dans l’Enquête sur l’entendement humain, Hume définit une convention comme un certain sens de l’intérêt commun, dont chacun éprouve l’existence en soi et qu’il reconnaît chez autrui . En quoi ce sens partagé participe- t-il de l’harmonie politique et sociale ? C’est ce qu’analyse Hume dans une page du Traité de la nature humaine.
En 1831, une mission parlementaire sur le système pénitentiaire en vigueur aux États- Unis fournit à Tocqueville l’occasion d’étudier une démocratie qui lui semble apaisée. J’avoue que dans l’Amérique j’ai vu plus que l’Amérique ; j’y ai cherché une image de la démocratie elle- même, de ses penchants, de son caractère, de ses préjugés, de ses passions , précise- t-il pour présenter son oeuvre.
Partout le développement de l’État moderne a pris pour point de départ la volonté du prince d’exproprier les puissances “privées” indépendantes , énonce Weber lors d’une conférence sur le métier et la vocation d’homme politique, en 1919. Afin de dégager l’éthique propre à l’activité politique, le sociologue interroge alors la spécificité de l’organisation sociale qu’est l’État.
Dès l’Antiquité, le régime de la foule – l’ochlocratie – est distingué du régime du peuple – la démocratie. L’ochlocratie serait une dégénérescence de la démo cratie. L’émergence de l’État moderne, au xviie siècle, modifie les enjeux de cette dis- tinction. L’État est- il garant de la raison contre l’éventuelle violence d’une foule ? Jusqu’à quel point ?
Dans l’avant-propos de la Critique de l’économie politique, Marx décrit le processus par lequel des formes d’organisations sociales hier encore formes de développement des forces productives […] se changent en de lourdes entraves . Alors commence une ère de révolution sociale , ajoute le philosophe qui inspire l’analyse que Simone Weil propose ici du phénomène révolutionnaire.
Dialogue entre Philalèthe et Théophile, les Nouveaux Essais, rédigés par Leibniz en 1704, sont une réponse directe à l’Essai sur l’entendement humain publié par Locke, en 1689. C’est l’occasion pour Leibniz d’exposer une théorie des connaissances infimes qui, par effet de seuil, échappent à la pleine conscience.
Le début de l’Anthropologie du point de vue pragmatique est consacré à l’examen de la conscience de soi, qui élève infiniment l’homme . En étudiant le retour réflexif de l’homme sur lui- même, Kant doit se confronter à la possibilité de représentations inconscientes.
Pas plus qu’un corps ne peut entrer en mouvement sans cause, une pensée ne saurait entrer dans la conscience sans une occasion qui l’amène , énonce Schopenhauer au début du quatorzième supplément du Monde comme volonté et comme représentation. Comment expliquer alors les pensées qui nous semblent dépourvues de raison ?
Le paragraphe 119 du deuxième livre d’Aurore est intitulé Vivre et imaginer . Nietzsche, analysant la vie des rêves, y esquisse une théorie de l’inconscient où notre corps jouerait le premier rôle.
Dans L’Interprétation du rêve, Freud s’élève contre ceux qui considèrent les récits de rêve comme des improvisations arbitraires concoctées dans l’embarras et propose de les envisager en tant que textes sacrés , c’est-à- dire des objets signifiants et doués d’une logique propre. Mais pourquoi cette logique n’apparaît-elle pas explicitement ?
Compression , déplacement , condensation : les métaphores mécaniques ou physiques abondent sous la plume freudienne pour caractériser, à partir de l’analyse du rêve, mais sans s’y réduire, le fonctionnement d’une pensée que Freud comprend comme inconsciente. Ainsi, la condensation serait déterminante dans la vie de l’esprit. La pluralité des interprétations n’en est-elle pas la conséquence nécessaire ?
Comment parvenir à la connaissance de l’inconscient ? : si connaître suppose d’avoir conscience de ce qu’on connaît, alors il semble impossible d’établir quelque chose comme un inconscient . Revenant en 1915 sur quelques malentendus suscités par son hypothèse de l’inconscient, Freud montre que celle-ci se justifie avant tout par le caractère lacunaire de la conscience.
Il y a un mystère du rêve. Relève- t-il d’une conscience atténuée ou d’un inconscient véritable ? Est- ce son aspect fragmentaire et discontinu qui lui confère sa part de mystère ? Dans le cadre d’une réflexion sur les croyances vraies et les croyances fausses, Russell précise ici la nature du problème théorique posé par l’étrangeté de l’expérience du rêve.
Dans Matière et mémoire, Bergson critique la réduction de l’esprit à ce qui se présente à la conscience , en soulignant que cette présence peut comprendre des degrés. Cette thèse est prolongée, dans L’Énergie spirituelle, par l’étude des souvenirs que notre attention à l’action présente nous porte à négliger et qui ressurgissent à l’occasion du rêve.
Le travail critique de la notion de représentation, élaboré par Wittgenstein pendant les années 1930, conjoint à la distinction entre cause et raison, lui permet, lors de leçons données à Cambridge, de requalifier l’hypothèse freudienne, avec laquelle il discute de façon critique.
Dans L’Être et le Néant, Sartre développe la notion de mauvaise foi : il s’agit d’une manière consciente de faire comme si l’on n’était pas conscient de quelque chose. Sartre propose alors de requalifier en mauvaise foi le refoulement tel qu’il était conçu par Freud, que Sartre estime impossible.
La première relation de l’homme à la technique est pratique et non pas théorique. L’homme y développe des habiletés qui sont en grande partie soustraites à ses capacités de représentation, de verbalisation et de théorisation. Dès lors, ne faut- il pas étendre l’usage des termes inconscient et subconscient ?
Conjectures et réfutations est un ouvrage polémique qui se fonde sur la distinction entre théorie et pratique. Popper y rappelle, contre certains engouements, politiques ou intellectuels, que l’éventuelle valeur d’une pratique ne saurait suffire à fonder ses prétentions théoriques. Ainsi, la psychanalyse ne confère à ses théories aucune immunité contre la critique.
Dans les Méditations pascaliennes, Bourdieu essaie de mettre au jour les présupposés propres aux pratiques des professeurs et des intellectuels. Une telle enquête se fonde sur l’hypothèse que la raison savante cache les révélations les plus inattendues sur ce que nous voulons le moins savoir de ce que nous sommes .
Aristote distingue, dans le livre V de l’Éthique à Nicomaque, différents types de justice : les justices distributive, corrective, rétributive, et la justice comme vertu. S’y ajoute la différence entre le juste, selon la nature, et le juste, selon la loi. Si chacune de ces espèces de justice a sa norme, il reste que, parfois, la recherche du juste consiste à ne pas appliquer strictement la règle, pour en préserver l’esprit.
D’après Hobbes, le souverain, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une assemblée, ne se contente pas de représenter le peuple, mais l’institue en procurant la paix à une multitude, autrement en guerre permanente. Les lois de cette puissance hors norme et à l’origine des normes peuvent- elles être injustes ?
La nature est illisible : elle ne saurait fonder la légitimité du droit. Sous cette thèse anodine se dissimule une critique : les grandeurs d’établissement, c’est-à- dire les hiérarchies bénéficiant d’une large reconnaissance sociale, ne tirent leur légitimité que d’un ordre politique contingent et relatif. Faut- il en déduire que les grandeurs d’établissement sont illégitimes ?
Dans le Traité politique, publié après sa mort par ses amis, Spinoza montre que la concorde et la paix ne s’établissent que dans la mesure où gouvernants et gouvernés – qu’ils agissent de bon ou de mauvais gré – n’en mettent pas moins leur conduite au service du salut général . Au chapitre vii, Spinoza pose la question d’une indépendance de la justice face à l’éventuel arbitraire du pouvoir politique.
Le positivisme juridique consiste à soutenir que la légitimité se réduit à la légalité. À une telle conception, Montesquieu oppose un argument construit à partir d’une compréhension, propre à De l’esprit des lois, de la loi comme relation. Dans quelle mesure y a-t-il une équité antérieure aux lois instituées par les hommes ?
Pour Rousseau, l’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient pas de la nature ; il est donc fondé sur des conventions . Afin de souligner le caractère artificiel du droit et de chercher le critère de sa légitimité, Rousseau montre l’absurdité d’un droit fondé sur la force.
L’opération juridique, propre au magistrat et, dans une moindre mesure, à l’avocat, est un acte de qualification : il s’agit, pour des faits donnés, de sélectionner, parmi différentes catégories juridiques, celle sous laquelle ces faits tombent, afin d’en tirer des effets de droit. La valeur de ces catégories est-elle absolue ?
Engagé dans la Révolution française, Condorcet souligne la tension qui peut exister entre la nécessité de donner aux lois une stabilité qu’exige le maintien de la paix et l’intégration, dans la société, de nouveaux citoyens qui n’ont pas consenti, dans le passé, aux lois de la majorité.
Tocqueville s’efforce, à la fin de De la démocratie en Amérique, d’identifier les institutions susceptibles de protéger, voire de renforcer, les libertés individuelles. Après avoir insisté sur l’importance des corps intermédiaires et de la liberté de la presse, ne convient-il pas d’examiner la valeur de la règle de droit ?
Il y a autant de différences d’opinion et autant de discussions sur ce qui est juste que sur ce qui est utile à la société , remarque Mill dans L’Utilitarisme. Ainsi, plusieurs thèses distinctes concernant le fondement et les limites du droit de punir sont admissibles, tout en demeurant mutuellement incompatibles. Comment trancher ?
Obligation n’est pas contrainte : alors que la contrainte exprime une violence, l’obligation, étymologiquement, désigne un lien renforcé par une parole donnée. Ainsi l’obligation se détache- t-elle de la force, pour instaurer un ordre de droit. Ne peut- on pas aller plus loin ? La notion d’obligation ne précède- t-elle pas le droit ?
Dans la Théorie de la justice, Rawls souligne que la conception de la justice formelle, l’application régulière et impartiale des règles publiques constituent l’État de droit quand elles sont appliquées au système légal . En découle une réflexion sur les conditions de la légitimité des lois et des institutions.
Polémiquant contre Hobbes, qui cherche à expliquer l’existence des institutions judiciaires par le gain de sécurité qu’elles procurent, mais aussi contre Locke, qui tend à gommer la distinction entre l’état de nature et l’état civil, et enfin contre Rousseau pour qui la seule cessation de l’état de nature est le symptôme d’un échec de l’humanité, Ricoeur promeut le concept de reconnaissance mutuelle comme enjeu principal et positif de l’instauration de la justice.
Un mythe égyptien fait de Theuth l’inventeur du nombre, du calcul, de la géométrie et, surtout, de l’écriture : de la science et de la mémoire le remède a été trouvé , lui fait dire Platon dans le Phèdre. Mais Ammon, roi solaire et père des dieux, n’approuve pas cette invention. Le mythe de Theuth permet d’interroger les effets de l’invention de l’écriture sur les savoirs et les âmes.
Dans la Rhétorique, Aristote distingue trois modes de persuasion : par le vrai et la démonstration (logos), par l’excellence du caractère du locuteur (ethos) et par l’éveil des passions de l’auditeur (pathos). Aristote traite des aspects de la persuasion par les passions : celui de la puissance de la voix, de l’intonation et du geste, les trois composantes de l’action oratoire.
Leibniz porte au signe, dans toute son oeuvre, un intérêt spéculatif et pratique : la perspective d’une combinatoire de signes pourrait constituer une économie de pensée qui en développerait la puissance. Dans quelle mesure est-il possible de perfectionner les opérations intellectuelles en prêtant attention aux signes, à leur fonction et à leur nature ?
Berkeley discute la thèse selon laquelle la faculté de former des idées abstraites, exprimées par des mots généraux, serait la propriété distinctive de l’intelligence humaine. Les idées abstraites étant difficiles à concevoir – comme l’idée de la couleur, à laquelle n’est attachée aucune couleur particulière –, est-il possible d’analyser la signification des mots généraux sans postuler l’existence de telles idées ?
Critiquant une tradition cartésienne qui attribue à l’être humain des idées innées, Condillac propose une démarche génétique qui vise à éclairer les modalités de formation de nos connaissances. Dans cette perspective, le langage est autant un instrument qu’un obstacle, dont il convient de mesurer l’importance.
Les noms sont- ils, à proprement parler, les noms des choses ou les noms des idées que nous avons des choses ? : telle est la question qui commande le début du Système de logique. Il est en effet indispensable de connaître la valeur des mots pour connaître la valeur des propositions, et celle des propositions pour connaître la valeur des arguments et des raisonnements. C’est dans ce contexte que Mill distingue la dénotation des noms, leur sens littéral, de leur signification.
Dès l’Essai sur les données immédiates de la conscience, Bergson soutient que la pensée demeure incommensurable avec le langage dans la mesure où le langage, général, ne saurait décrire la vie de la conscience, toujours singulière. Dans Le Rire, Bergson prolonge cette analyse en dérivant la généralité du langage des caractéristiques de la vie pratique, de la manière dont nous agissons au quotidien et en société, indifférents à la texture singulière des choses.
Dans Métapsychologie, Freud compare l’inconscient à une écriture hiéroglyphique, faite d’images et de symboles énigmatiques, qu’il s’agit, pour l’analyste, de traduire en langage clair. Mais le modèle de la traduction, avertit Freud dans L’Interprétation du rêve, trouve ses limites dans la mesure où le symbole n’est qu’une présentation indirecte du contenu qu’il transmet.
Objet d’étude privilégié des sciences du langage, la notion d’expression pose problème. Merleau- Ponty en propose une analyse, qui renvoie au lien problématique entre la parole et la pensée : la langue que je parle n’est- elle pas simultanément comprise par tous, et pourtant inventive, y compris pour moi, en chacune de ses occurrences ?
L’oeuvre de María Zambrano est traversée par une attention à la raison poétique , la capacité qu’a le langage poétique de nous rapprocher d’un rapport créateur au monde. Remontant à l’origine de la culture, la philosophe dégage les caractéristiques d’un langage rythmé et puissant, qui se distingue du bavardage moderne.
L’oeuvre de Benveniste a posé des jalons essentiels dans la constitution des sciences du langage, en reformulant et en proposant des solutions à des difficultés identifiées de façon ancienne. Pour la relation du langage à la réalité, Benveniste postule une primauté de la parole sur le réel.
L’Ordre du discours est la leçon inaugurale de Foucault au Collège de France. Il y énonce l’hypothèse qui animera ses recherches et ses cours. En l’occurrence, il se propose d’identifier les procédures de contrôle et de restriction par lesquelles une société limite ce qui est dicible.
Dans les quatre volumes des Mythologiques, puis dans La Potière jalouse, Lévi-Strauss réfléchit à la signification des mythes, tout en interrogeant la nature de la signification : est-elle interne au mythe ou au mot, ou est-elle relative à la situation du mythe ou du mot au sein du système dans lequel il s’inscrit ?
Ricoeur a consacré une grande partie de son oeuvre à une réflexion sur la notion de texte : de l’interprétation des symboles bibliques à l’analyse de la métaphore et de la structure du récit, le philosophe donne une importance décisive au texte comme manière de structurer notre monde. Dans ce passage, il s’appuie sur l’expérience de la lecture afin de mettre en évidence la spécificité du texte écrit.
C’est au moment où s’effondre la polis (cité) grecque sous la pression des grands royaumes macédoniens qu’Aristote écrit Les Politiques. Pour le philosophe, la cité offre les conditions idéales d’une vie autarcique , indépendante du besoin. Mais son organisation pose la question de la place du pouvoir et de sa distribution : le pouvoir est- il compatible avec l’exercice, par chaque citoyen, de la liberté ?
Le Manuel d’Épictète a été compilé par un de ses disciples, Arrien, et constitue un guide pour l’apprenti qui progresse vers la sagesse. Celle- ci consiste à la fois dans une connaissance adéquate du monde et dans une manière de vivre vertueuse et libre. Comment faut- il donc concevoir le monde pour devenir libre ?
Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue , soutient Descartes dans la quatrième des six Méditations métaphysiques. Ce pouvoir de la volonté signifie- t-il que se déterminer sans être influencé est la forme la plus haute de liberté ?
Dans l’introduction de la troisième partie de l’Éthique, Spinoza critique ceux qui conçoivent l’homme dans la nature comme un empire dans un empire . Son maître ouvrage n’a été publié qu’en 1677, l’année de sa mort. Mais les contemporains de Spinoza ont pu l’interroger de son vivant sur sa conception de la liberté.
Il faut que le terme du sujet enferme toujours celui du prédicat , énonce Leibniz dans la huitième proposition du Discours de métaphysique. Ainsi les propriétés du triangle se déduisent- elles de la définition du triangle et les propriétés d’un corps de sa nature. Cette proposition logique implique-t-elle en dernier lieu une négation de la liberté ?
Ceux qui veillent soigneusement sur leurs idées et dirigent leur pensée d’après l’évidence des choses plus que d’après le son des mots évitent bien des disputes, indique Locke au début du chapitre xxi du deuxième livre de l’Essai sur l’entendement humain. Les disputes sur la liberté sont- elles de ces questions vaines qui agitent un esprit incapable de s’arrêter quand il est arrivé en bout de laisse ?
L’homme est né libre et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux , affirme Rousseau au chapitre i du Contrat social. L’ouvrage est une défense du caractère inaliénable de la liberté, qui passe par une mise en question de la légitimité de tout acte de subordination.
Au septième paragraphe de la Critique de la raison pratique, Kant soutient que la loi fondamentale de la raison pratique est : agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse en même temps toujours valoir comme principe d’une législation universelle . Ce pouvoir de se donner à soi- même ses propres lois trouve son prolongement dans la distinction entre autonomie et hétéronomie.
Toute société démocratique est caractérisée par l’égalité de ses membres. Cette égalité aurait pour conséquence une indépendance croissante des individus les uns par rapport aux autres. Ce phénomène social n’engendre- t-il pas des conséquences politiques inquiétantes ?
Dans De la liberté, Mill soutient que la liberté ne saurait être garantie, dans une société politique, sans la délimitation d’une sphère privée ; cela devrait permettre à chacun de choisir, dans les limites du droit d’autrui, la manière dont il veut conduire sa vie et développer ses facultés individuelles.
Méditation sur la relation du temps et de la subjectivité, l’Essai sur les données immédiates de la conscience est le premier ouvrage de Bergson. Au troisième chapitre, celui-ci aborde la question de l’acte libre. Comment décrire la liberté, en tenant compte de la temporalité essentielle à notre conscience ?
Dans la quatrième partie de L’Être et le Néant, Sartre soutient que l’homme est libre parce qu’il n’est pas soi mais présence à soi. L’être qui est ce qu’il est ne saurait être libre. La liberté, c’est précisément le néant qui est au coeur de l’homme . Et le philosophe de tirer cette conclusion : l’homme est tout entier et toujours libre ou il n’est pas . Comment concevoir dans ce cadre les obstacles rencontrés par l’homme ?
L’objet de la Physique est la nature (physis, en grec). Aristote cherche à déterminer des principes qui vaudraient pour tous les êtres naturels et qui distingueraient ces derniers des êtres artificiels. Mais n’y a- t-il pas une porosité entre ce qui est naturel et ce qui est artificiel ?
Après avoir loué Épicure, pour son effort de dissipation des ténèbres de l’ignorance et de la superstition, Lucrèce affirme que seule une explication des phénomènes naturels permet de dissiper les vaines croyances. Cette approche de la nature suppose de récuser l’idée de création ex nihilo et de considérer l’existence de relations déterminées entre les causes et leurs produits.
Pour Marc Aurèle, la nature est ce qui nous entoure et ce à quoi il s’agit de se conformer. Elle est aussi comprise comme une providence, qui fait tout au mieux pour l’ensemble des créatures. Comment expliquer alors qu’elle soit également un flux, dans lequel toutes choses s’altèrent et disparaissent ?
À l’intersection de la tradition platonicienne et d’un récit biblique revisité, l'auteur Pic de la Mirandole, avec son livre 'De la dignité de l’homme', publie ce qui constitue un manifeste de la pensée humaniste de la Renaissance. La nature humaine ne saurait être réduite à une norme préétablie : n’est-elle pas une ébauche, dont l’achèvement nous revient ?
« La présomption est notre maladie naturelle et originelle », diagnostique Montaigne dans l’« Apologie de Raymond Sebond », réflexion consacrée en grande partie à la différence entre l’homme et les autres animaux. N’est-ce pas un amour de soi peut-être excessif qui incite l’homme à se considérer comme une exception au sein de l’ordre naturel et à s’en écarter ?
Les sceptiques supposent les secrets de la nature impénétrables, les dogmatiques pensent y lire à livre ouvert. Récusant ces attitudes, Bacon promeut l’invention d’un nouvel instrument théorique, un Novum Organum, censé accroître notre empire sur la nature sans prétendre la commander. L’homme n’étend ses actions et ses connaissances qu’à mesure de ses observations ; il ne sait ni ne peut rien de plus.
Nous croyons avoir une idée claire de ce qu’est un animal. Mais savons- nous définir ce que nous croyons savoir ? Définir, c’est délimiter ; c’est regrouper dans un même genre des individus différents et, ainsi, les distinguer de ceux qui appartiennent à un autre genre. La diversité profuse du monde animal autorise- t-elle une telle délimitation ?
Rousseau a consacré plusieurs moments de sa vie à l’étude de la botanique, pour laquelle il a posé les jalons d’un dictionnaire scientifique. Cette étude, dans son œuvre, est néanmoins irréductible à la seule quête de connaissance. Elle pose la question du sens de l’existence, sur le mode d’une déambulation libre et heureuse.
Le soixante- cinquième paragraphe de la Critique de la faculté de juger est intitulé : « Les choses en tant que fins naturelles sont des êtres organisés ». Kant y soutient que la nature s’organise « d’elle- même, et cela dans chaque espèce de ses produits organisés, selon un même exemplaire dans l’ensemble, mais cependant aussi avec des écarts convenables et exigés selon les circonstances pour l’auto-conservation de l’espèce ».
L’esprit humain récolte, sur la nature, des connaissances prolifiques en observant ses différentes manifestations. La connaissance humaine doit-elle pour autant se limiter, dans son rapport à la nature, à ces savoirs particuliers, ou développer un savoir unifié, compréhensif, de l’être de la nature ?
On peut, selon Schopenhauer, considérer l’homme de deux points de vue : ou bien comme sujet qui se représente le monde par son entendement et le contemple pour le connaître ; ou bien comme organisme traversé par des pulsions et des forces qu’il nomme « volonté ». Face à une nature hostile, ces deux dimensions n’entrent-elles pas en conflit ? Que produit ce conflit ?
« Supposer que l’œil, avec tous ses dispositifs inimitables », reconnaît Darwin dans L’Origine des espèces, « pourrait avoir été formé par sélection naturelle, semble, je l’avoue sans mal, absurde ». Les apparences, toutefois, sont trompeuses : n’est-ce pas une compréhension trop humaine de la nature qui nous empêche de reconnaître que les organes les plus complexes se forment graduellement ?
La parenté, la filiation ou les relations matrimoniales se situent à l’intersection – délicate à saisir – de la nature et de la société. Lévi-Strauss montre comment la prohibition de l’inceste bouscule les propriétés habituellement attribuées à la nature, d’une part, et à la règle, d’autre part.
« La nature humaine est telle que, si nous atteignons une maturité assez englobante, il nous est impossible de ne pas nous identifier avec tous les êtres vivants », soutient Naess dans La Réalisation de soi. Cette disposition espérée de notre nature ne recèlerait-elle pas la possibilité de modes de vie préférables aux nôtres ?
Dans le Phédon, Platon raconte – ou imagine – les derniers instants de Socrate. Dans quelle mesure la mort est- elle à redouter ? Socrate justifie son espoir d’une immortalité de l’âme en se fondant sur les rapports qui s’établissent entre le corps et l’âme, au cours de l’existence. L’acte de raisonner ne peut- il, dans ce contexte, être compris comme le processus par lequel l’âme s’émancipe du corps ?
Dans le livre gamma de Métaphysique, Aristote se donne pour objet d’étude « l’être en tant qu’être » et non pas un genre d’êtres particuliers. Comme le philosophe ne sépare pas l’étude des principes premiers de l’être des principes fondamentaux de la pensée, il est amené à poser « le principe le plus sûr de tous », « le principe de tous les autres axiomes », celui qui serait au fondement, donc, de notre rationalité.
Dans Le Livre de science, Avicenne examine les diverses facultés que sont la sensation, l’imagination et l’intellect. Si les deux premières sont communes aux hommes et aux animaux, la faculté intellectuelle est bien le propre de l’homme et consiste à considérer un objet de manière abstraite, indépendamment de ses particularités matérielles.
Suffit-il de bien raisonner pour bien agir ? Héritant de cette question posée par l’éthique d’Aristote, Thomas d’Aquin examine le pouvoir de la raison sur les passions. Pour bien agir, il est requis que non seulement la raison soit bien disposée par la manière d'être de la vertu intellectuelle, mais aussi que le désir humain le soit par la manière d'être de la vertu morale. Donc, de même que le désir humain se distingue de la raison, de même la vertu morale se distingue de la vertu intellectuelle.
L’« Apologie de Raymond Sebond » est l’occasion d’une mise à l’épreuve sceptique de la raison, que de nombreux philosophes tiennent pour la « contrôleuse générale de tout ce qui est au-dehors et au- dedans de la voûte céleste, qui embrasse tout et peut tout ». Que vaut cette prétention, face à l’irréductible différence et instabilité des choses qui composent notre monde, cette « branloire pérenne » ? Il n’y a aucune constante existence, ni de notre être, ni de celui des objets. Et nous, et notre jugement, et toutes choses mortelles vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi il ne se peut établir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant et le jugé étant en continuelle mutation et branle.
Descartes écrit à Mersenne en 1639 que la raison est « un instinct » qui « est en nous en tant qu’hommes ». Cela implique- t-il toutefois que tous les hommes en fassent un égal usage ? La puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses.
« Deux excès. Exclure la raison, n’admettre que la raison. » Ce fragment des Pensées synthétise le rapport nuancé et critique de Pascal à la rationalité : sans renoncer à l’exercer, il en perçoit les limites et les expose. Il questionne la puissance – ou l’impuissance ? – de la raison face aux effets nombreux et vertigineux de l’imagination.
Malebranche définit l’attention comme une « prière naturelle » de l’esprit. Cette vigilance rationnelle s’exerce autant en direction du monde extérieur, dans les sciences, que vers une intériorité passée au crible par l’écoute de « la vérité intérieure, dans un plus grand silence des sens, de l’imagination et des passions ». Cette tension vers la raison suppose au préalable d’en dénoncer les mauvais usages.
Émilie du Châtelet a, par ses traductions, contribué à introduire la pensée de Newton en France. Lectrice de Leibniz et de Locke, elle récapitule, dans les premières pages de ses Institutions de physique, les principes fondamentaux sans lesquels aucune pensée rationnelle ni aucun discours cohérent ne pourraient se développer. Ainsi l’impossible est ce qui implique contradiction, et le possible ce qui ne l’implique point. Il faut bien prendre garde que cette définition ne nous induise pas à prendre des notions trompeuses pour des notions claires : car il arrive quelquefois que nous nous formons des idées trompeuses qui nous paraissent évidentes faute d’attention, et parce que nous avons une idée de chaque terme en particulier, quoiqu’il soit impossible d’en avoir aucune de la phrase qui naît de leur combinaison.
Contre une compréhension de la raison qui lui accorderait trop de pouvoir, Hume cherche à préciser la nature et la fonction de l’expérience, qui pallie, dans la vie théorique et pratique, les carences de la rationalité. Dans quelle mesure l’exercice de la pensée dépend-il des observations ? De causes qui paraissent semblables, nous attendons des effets semblables. Telle est la somme de toutes nos conclusions expérimentales (scientifiques). Or, il semble évident que si cette conclusion était formée par la raison uniquement, elle serait aussi parfaite. Mais le cas est bien différent. Rien de si semblable que des œufs ; cependant, personne n’attend, en raison de cette apparente ressemblance, le même goût et la même saveur pour chacun d’eux.
Après avoir montré qu’une volonté bonne est une volonté qui se soumet à l’impératif catégorique sans subir les contraintes de la sensibilité, Kant envisage, dans la troisième section des Fondements de la métaphysique des mœurs, le fondement de cette autonomie de la volonté : l’idée de la liberté, qui ne peut être attribuée qu’à un être raisonnable.
Selon Kant, le sens commun désigne « une faculté de juger qui dans sa réflexion tient compte, lorsqu’elle pense, du mode de représentation de tous les autres humains afin d’étayer son jugement, pour ainsi dire, de la raison humaine dans son entier ». Cette capacité d’anticiper le jugement virtuel d’autrui correspond à trois maximes, dont le respect définit l’autonomie intellectuelle.
Si, comme il le note au paragraphe 447 de l’Encyclopédie des sciences philosophiques, un homme enfermé dans sa particularité se refuse à la « communauté de la rationalité », Hegel entend néanmoins montrer que de nombreuses réalités en apparence privées de rationalité – comme la sensation – n’en sont pas dépourvues.
Rédigés à l’invitation d’une revue japonaise, les cinq articles réunis dans "Sur le renouveau" proposent une réflexion sur la faillite de la raison et de la culture européenne que fut la Première Guerre mondiale. Refusant deux solutions de facilité, l’irrationalisme et la simple reconduite de la tradition rationaliste, Husserl essaie de restaurer l’idéal originel de la rationalité.
Une argumentation, une action, une personne peuvent être dites rationnelles. Qu’est-ce donc qui rend une forme de vie rationnelle ? L’œuvre de Jürgen Habermas se propose de répondre à cette question en rendant justice à l’importance de la communication dans la constitution de la rationalité. Ce qui est constitutif pour la rationalité de l’action, c’est le fait que l’acteur prévoit son action selon un plan qui implique la vérité d'une opinion, un plan en conséquence duquel l’objectif posé peut être réalisé dans des circonstances données.
Dans le chapitre v de "Raison, vérité et histoire", Putnam discute une « conception critérielle » de la rationalité, qui identifie les conditions nécessaires et suffisantes de la rationalité. Toutefois, vouloir formaliser ce qui est rationnellement acceptable, n’est-ce pas méconnaître la dimension historique de la rationalité ?
Si une attribution de la rationalité à un individu – « le » scientifique, par exemple – ou à un groupe – « les » scientifiques – est douteuse, faut-il pour autant en conclure que la rationalité n’est pas un concept fiable et qu’elle mériterait d’être rejetée ?
Euthyphron prétend connaître « ce qu’il en est du divin ». Interrogé par Socrate, le devin définit le pieux comme « ce que tous les dieux aiment » (9d). Mais faire des sentiments des dieux la norme de ce qui est pieux, n’est-ce pas promouvoir une conception arbitraire des principes religieux et de la morale ?
Proposant d’abord une interprétation rationaliste et physique des noms de dieux, Cicéron, dans "De la nature des dieux", cherche ensuite à mettre en évidence l’absurdité des mythes et les excès de la superstition. Le véritable culte des dieux ne se caractérise-t-il pas par sa sobriété extérieure ?
Le Discours décisif d’Averroès est une fatwâ, c’est-à- dire un avis juridique, qui soutient que l’interprétation du texte réputé sacré peut être une obligation pour qui en a la capacité rationnelle. Il s’agit donc de déterminer quelles sont les propositions du texte révélé dont l’interprétation est légalement obligatoire pour le philosophe.
Pour Thomas d’Aquin, la religion n’est pas une vertu « théologale » comme le sont l’espérance, la foi ou la charité. Celles-ci sont ordonnées à un objet qui dépasse la connaissance humaine. La religion, au contraire, est une vertu morale, en lien avec la justice et la vie sociale. C’est dans ce contexte que se pose la question de la possibilité d’un excès de religion.
Les croyants, soutient Pascal dans les Pensées, ne peuvent « rendre raison de leur créance », mais « cela n’excuse pas ceux qui la reçoivent », dont on ne saurait exiger a priori qu’ils renoncent à toute raison. C’est donc dans la perspective d’une réception de la croyance qu’il convient d’examiner l’existence de Dieu.
« Je n’examinerai donc les diverses religions du monde, que par rapport au bien que l’on en tire dans l’état civil », précise Montesquieu au début du chapitre de "De l’esprit des lois" consacré aux religions. C’est dans ce contexte politique, et non théologique, qu’il critique le jugement de Bayle sur les défauts respectifs de l’idolâtrie et de l’athéisme.
Pour l’intelligence, la foi ne peut prendre, selon Kierkegaard, que la figure du paradoxe. Si la croyance est motivée par une passion existentielle, l’intelligence demeure à jamais impuissante à la fonder. Dieu ne serait-il pas le lieu d’une différence infinie, différence pressentie mais à jamais inexplicable ?
L’annonce retentissante du meurtre de Dieu est une provocation pour le croyant. Toutefois, ne s’agit-il pas autant, sous la plume de Nietzsche, de la mise en question d’un athéisme convenu, qui ne mesurerait pas à sa juste valeur le bouleversement qu’implique la fin proclamée d’une croyance collective majeure ?
En 1876, Clifford, dans « l’Éthique de la croyance », avait soutenu que « si je m’abandonne à croire quoi que ce soit sur la base d’éléments de preuve insuffisants », alors « il est inévitable que je cause, en m’abandonnant à croire de cette façon, un grand tort à l’Homme, celui de m’être rendu crédule ». Vingt ans plus tard, dans « la Volonté de croire », James cherche à répondre à Clifford. La liberté de croire ne peut s’appliquer qu’à des options vivantes entre lesquelles l’intelligence de l’individu concerné ne peut trancher par elle?même ; et une option vivante ne paraît jamais absurde à celui qui l’envisage.
À partir de l’exemple du totémisme australien, Durkheim réfute l’idée que les premières conceptions religieuses trouvent leur origine dans « un sentiment de faiblesse et de dépendance, de crainte et d’angoisse ». Si la religion est irréductible à une illusion provoquée par l’angoisse devant l’inconnu, d’où lui vient donc sa force ? Par cela seul qu’elles ont pour fonction apparente de resserrer les liens qui attachent le fidèle à son dieu, du même coup elles resserrent réellement les liens qui unissent l’individu à la société dont il est membre, puisque le dieu n’est que l’expression figurée de la société.
« Les messages de notre fonds culturel qui pourraient avoir la plus grande signification pour nous » sont « ceux précisément dont l’accréditation est la plus faible de toutes », remarque Freud dans "L’Avenir d’une illusion". Et Freud s’interroge : comment expliquer le crédit des doctrines religieuses ?
Les convictions religieuses s’énoncent dans des discours. Mais quel est le sens des concepts, des propositions et des arguments qui y sont employés ? Wittgenstein, toujours sensible à la possibilité qu’une proposition soit dépourvue de sens, analyse le mode de signification des discours religieux afin de mettre au jour leur singularité.
Aristote, dans les Seconds Analytiques, analyse les notions fondamentales de contradiction, de contrariété, d’implication et de modalité. Cet effort de clarification permet de dégager des critères de scientificité d’une théorie, d’un raisonnement ou d’une proposition. À quelles conditions pouvons-nous disposer d’un savoir scientifique ?
Il est impossible de connaître, par l’expérience, tous les cas potentiels. Toutefois, la possibilité de la connaissance n’est pas défaite pour autant : si l’on postule l’uniformité et l’unité de la nature, ne peut-on, légitimement, tirer une proposition générale fiable des seuls cas connus ? Pour garantir cette fiabilité, il convient de saisir l’objet en sa cause.
La première règle donnée par Descartes pour la direction de l’esprit est que « le but de toutes nos études doit être de former notre esprit, pour le rendre capable de porter des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui ». Reste que la pluralité des objets étudiés peut poser problème : ne rend-elle pas opaque l’unité finale de l’étude ?
Dans "De la recherche de la vérité", Malebranche rend justice à la géométrie, connaissance certaine de rapports nécessaires et immuables entre des termes abstraits. Il promeut aussi l’utilité pratique et méthodique de cette science : école de l’attention, elle nous apprend à orienter notre imagination vers des idées claires et distinctes. Ceci posé, il importe de ne pas confondre les rapports entre les idéalités mathématiques et les relations naturelles entre les corps matériels.
Dans "les Institutions de physique", la marquise du Châtelet promeut une conception de la recherche fondée sur l’observation et l’expérience. Estimant que les disciples de Descartes ont abusé de l’utilisation des hypothèses, et que ceux de Newton sont tombés dans le défaut contraire, elle essaie d’en déterminer le bon usage.
L’étude des impressions que nous avons originellement senties et dont les idées sont des copies permet d’obtenir, selon Hume, « un nouveau microscope » pour les sciences morales. Or, placée sous ce microscope, l’idée de connexion nécessaire, qui fonde le projet d’une connaissance rationnelle des causes, des phénomènes et des lois qui régissent leurs rapports, se révèle problématique.
Cournot, dans la deuxième partie de son Essai, discute, au chapitre xx, « le contraste de l’histoire et de la science ». Ne faut-il pas soutenir que « la description d’un phénomène dont toutes les phases se succèdent et s’enchaînent nécessairement selon des lois que font connaître le raisonnement ou l’expérience, est du domaine de la science et non de l’histoire » ? A contrario, comment caractériser la rationalité de l’histoire ?
Conscient des réticences que suscitent les résultats des enquêtes sociologiques, Durkheim rappelle la distance qui sépare les théories scientifiques méthodiquement constituées des opinions du sens commun. Une distance d’autant plus difficile à percevoir lorsque la science a pour objet l’homme lui-même.
Physicien français, Duhem se distingue par une épistémologie qui tient les théories scientifiques pour de stricts instruments, permettant de hiérarchiser les lois de la nature, mais sans certitude immédiate sur leur adéquation avec le réel. Faut-il, dès lors, renoncer à l’affirmation de leur vérité ?
La science décrit le monde. Reste que les outils de cette description – modèles, théories, instruments mathématiques – ne doivent pas être confondus avec leur objet : une carte n’est pas un territoire. Il existe différentes manières de construire une carte pour un même territoire. De même, la science se caractérise par une pluralité de possibilités de représentations, que sa puissance analytique tend, parfois, à faire oublier.
La pratique des sciences est une authentique culture, au sens littéral et exigeant d’une formation de l’esprit humain. Cette formation de l’esprit se fonde sur des vertus qu’elle permet de développer en retour : créativité théorique, prudence réflexive et exigence critique se combinent, au service d’une pensée qui se déleste constamment d’hypothèses inopérantes pour gagner en précision.
Eddington (1882-1944), astrophysicien britannique, a contribué à élaborer une théorie fondamentale susceptible d’unifier la théorie quantique et la théorie de la relativité d’Einstein. Sa compréhension novatrice de l’atome permet à Bachelard de préciser la nature du lien qui existe, dans les sciences, entre les apports de l’expérience et de la raison.
Dans « Le Vivant et son milieu », Canguilhem montre que le rapport du vivant à son milieu ne peut être réduit à une relation de passivité, où le vivant subirait les influences du milieu : « le propre du vivant, c’est de se faire un milieu, de se composer un milieu ». Fort de cette analyse, Canguilhem peut poser la question de la relation de l’homme, en tant que sujet de la connaissance scientifique, à son milieu vital.
Dans le premier chapitre de "La Pensée sauvage", consacré à la « science du concret », Lévi- Strauss, refusant de distinguer absolument pensée rationnelle et pensée dite « primitive », soutient que les classifications des espèces opérées par les peuples dits « primitifs » supposent les mêmes opérations mentales que celles de la science moderne. Quelle est alors la différence entre pensée primitive et pensée scientifique moderne ?
Le progrès des sciences n’est, d’après Kuhn, ni linéaire, ni cumulatif. À des phases de perfectionnement succèdent des crises lors desquelles les découvertes scientifiques qui, pour un temps, ont fourni à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions, sont radicalement remises en question. Quels sont les événements à l’origine de ces changements de « paradigme » ?
Comment concevoir le rapport du corps humain aux dispositions techniques de l’homme ? Anaxagore, philosophe grec présocratique, n’a pas hésité à faire des mains l’origine de l’intelligence humaine. Aristote, qui raisonne à partir de la notion de finalité, propose une autre analyse. Anaxagore dit ainsi que c’est du fait qu’il a des mains que l’être humain est le plus intelligent des animaux, alors qu’il est rationnel que ce soit du fait qu’il est le plus intelligent qu’il soit pourvu de mains.
Dans son œuvre, Bacon valorise les relations des objets techniques et des sciences. C’est par leur puissance d’altération de la nature et de constitution de notre monde que les objets techniques se révèlent à nous. Dès lors, question technique et interrogation éthique s’entrecroisent.
Conscient des erreurs qui peuvent s’introduire dans le calcul arithmétique opéré par un être humain, Pascal propose une machine arithmétique « qui relève le défaut de la mémoire ». C’est l’occasion, pour le philosophe, de réfléchir aux rapports entre concepteur et exécutant, ainsi qu’entre théorie scientifique et application technique.
Dans son Cours de philosophie positive, Comte émet l’hypothèse d’une histoire de l’humanité caractérisée par des états successifs, peu à peu dépassés. Dans le contexte de développement technique et industriel propre au xixe siècle, la relation des « arts » – c’est-à-dire, sous la plume du penseur, des techniques – et des sciences devient un enjeu crucial.
La révolution industrielle se caractérise, au xixe siècle, par l’irruption de la machine-outil, qui rompt avec le travail artisanal. Marx, dans Le Capital, analyse cette irruption comme un moment stratégique, susceptible d’étayer son hypothèse d’une détermination de l’organisation du travail par un certain état des techniques.
Dans les Manuscrits de 1844, Marx caractérise l’aliénation de l’ouvrier, dans le monde industriel, par une triple privation : privation de la maîtrise de l’objet, privation des moyens de la production, privation de son propre corps. Dans Le Capital, en 1867, il reprend la question de la privation du corps, discutée à partir d’une distinction difficile à opérer entre organisme et mécanisme.
Dans L’Évolution créatrice, Bergson cherche à distinguer l’intelligence de l’instinct. Le problème est qu’« intelligence et instinct, ayant commencé par s’interpénétrer, conservent quelque chose de leur origine commune ». C’est dans ce contexte théorique de distinction qu’une nécessaire revalorisation des arts mécaniques s’opère.
L’Essai sur la connaissance approchée est un éloge de l’approximation, entendue comme « objectivation prudente, féconde, [et] vraiment rationnelle puisqu’elle est à la fois consciente de son insuffisance et de son progrès ». L’ouvrage, issu de la thèse de doctorat de Bachelard, s’attache à revenir sur une assimilation trop rapide et fréquente entre sciences et techniques.
En 1934, Simone Weil entre comme manœuvre dans une usine ; il s’agit pour elle de faire l’expérience directe de la réalité concrète vécue par les ouvriers, afin de découvrir « les conditions réelles qui déterminent la liberté et la servitude des ouvriers ». L’une de ces conditions réelles, c’est la relation de l’ouvrier à la machine.
Canguilhem, sensible à la singularité des phénomènes biologiques, entend, dans "La Connaissance de la vie", « inscrire le mécanique dans l’organique », « en considérant la technique comme un phénomène biologique universel ».
Lévi-Strauss discute deux opinions : d’une part, les techniques caractérisant les sociétés réputées « premières » seraient qualitativement inférieures aux techniques des sociétés dites « avancées » ; d’autre part, l’accumulation heureuse d’un capital technique dans une société serait propre à une seule culture : la nôtre. Dans quelle mesure s’agit-il d’opinions préconçues ?
Pour Heidegger, « l’essence de la technique n’est rien de technique ». Il serait faux de réduire la technique à un simple instrument au service de l’homme : elle définit plutôt une certaine manière de se rapporter au monde, sur le mode de la « calculabilité ». En cela, la technique serait un mode du « dévoilement » de la nature.
Dans "L’Humaine Condition," Hannah Arendt distingue « des articulations élémentaires de la condition humaine » : le travail, la fabrication, l’œuvre, l’action, la vie contemplative. La confusion de ces articulations serait « à l’origine de l’aliénation du monde moderne ». Ces concepts lui permettent ici de concevoir la spécificité du monde technologique dans lequel nous vivons.
Évitant de réduire l’objet technique à sa fonction répétitive, et de faire de lui une simple application d’une théorie, Simondon propose de pénétrer à l’intérieur de l’objet, pour comprendre son fonctionnement interne et les causes de son évolution, qui procède « par convergence et adaptation à soi ».
Le premier chapitre de "La Pensée sauvage" est intitulé « La science du concret ». Claude Lévi-Strauss repère, dans la pensée des sociétés dites primitives, parfois réduite à l’irrationalité, une méthode rationnelle de cartographie du monde, différente du raisonnement de la science moderne, mais non moins digne. Afin de saisir la distinction entre la science du concret et la science moderne, l’anthropologue propose une analogie entre la pensée sauvage et le bricolage.
Timée, en un long discours exposé à la demande de Socrate, cherche à expliciter comment « le devenir, c’est-à-dire notre univers », a été constitué et « pour quelle raison » (Timée, 29e). Dès lors, comment ne pas chercher, ne serait-ce que sur un mode mythique, à qualifier la nature du temps ?
Le temps n’est pas le mouvement, puisque le mouvement peut être lent ou rapide, alors que le temps ne peut, semble-t-il, sans se contredire, comporter lui-même de vitesse. Mais le temps a quelque chose du mouvement, puisque l’existence même du temps ne va pas sans celle du mouvement. C’est cette primauté du mouvement sur le temps qu’Aristote discute au quatrième livre de la Physique.
Dans quelle mesure le temps est-il le « milieu » dans lequel les événements se produisent ? Se référant à différents événements de la guerre entre Grecs et Troyens, chantée par Homère dans L’Iliade, Lucrèce soutient qu’il faut prendre garde à ne pas donner au temps une existence propre.
Les commentateurs d’Aristote, à partir du livre IV de la Physique, avaient élaboré une compréhension cosmologique du temps comme « nombre du mouvement ». Une telle conception du temps suffit-elle à épuiser son essence ? Dialoguant de façon critique avec cette tradition, Augustin propose une définition alternative du temps.
Dans les Discours sur la première décade de Tite-Live, Machiavel s’étonne que les exemples du passé soient « plutôt admirés qu’imités » : alors que l’Antiquité fait l’objet d’un éloge presque unanime, peu nombreux sont ceux qui cherchent à en tirer profit pour un présent qu’ils méprisent souvent.
Les Pensées de Pascal proposent une analyse du « divertissement ». Il ne faut pas entendre là un amusement occasionnel, mais la tendance constante des hommes à se détourner de la réalité présente. Cette nécessité de diversion ne nous conduit elle pas à errer dans des temps « qui ne sont point nôtres » ?
Dans le Post-scriptum définitif et non philosophique aux Miettes philosophiques, Kierkegaard critique une manière « abstraite » d’interroger l’existence, qui en dépouillerait notamment le caractère temporel. Il soulève ainsi le paradoxe d’une pensée qui ne s’interroge pas sur ses propres conditions temporelles d’existence.
Le premier chapitre de "L’Évolution créatrice" analyse « l’évolution de la vie », en discutant les concepts de mécanisme et de finalité. Dans ce cadre, Bergson soutient que « quant à la vie psychologique, telle qu’elle se déroule sous les symboles qui la recouvrent, on s’aperçoit sans peine que le temps en est l’étoffe même ».
L’analyse peut découvrir des différences logiques importantes là où un seul fait est apparent. C’est ainsi que Russell, en distinguant deux sortes de souvenir, précise les rapports qu’il y a entre la mémoire des expériences passées et la question de l’identité personnelle dans le temps.
Au début de La Pensée et le Mouvant, Bergson procède à une brève récapitulation de son itinéraire philosophique. Il rappelle la distinction entre la durée – temps de la conscience – et le temps spatial qu’étudie la science. Leur différence n’est-elle pas celle qui sépare un temps mouvant et un temps immobile ?
Merleau-Ponty considère que la métaphore qui rapproche le temps d’une rivière est « en réalité très confuse », car elle fait comme si le temps existait indépendamment d’un sujet qui le considère. Or, si cette métaphore garde un sens, c’est sans doute en raison de la continuité immanente au temps. Cette continuité pourrait-elle exister sans le sujet qui se projette et se remémore ?
Michel de Certeau, spécialiste de l’histoire de la mystique à l’époque moderne, s’interroge, dans « L’Opération historique », sur ce que fait l’historien. Pratiquer les sciences historiques, c’est nécessairement entretenir un certain rapport à la mort, mais c’est aussi ouvrir une brèche dans le présent, par la représentation de ce qui ne s’y réduit pas.
Une anecdote de Tchouang-tseu évoque un nageur qui traverse avec aisance de dangereuses chutes d’eau : « J’ai grandi dans l’eau et je m’y suis accoutumé, voilà le naturel. Je m’y meus sans même m’en rendre compte, voilà la vie même », explique- t-il. De même, l’habitude qui mène au naturel, la familiarité avec l’objet travaillé n’assurent-elles pas l’efficacité et la virtuosité du travail ?
Il importe de distinguer avec justesse les différentes sortes de pratiques humaines. C’est pourquoi Aristote définit l’activité productive (poiêsis) comme une pratique spécifique, sollicitant d’autres vertus intellectuelles et d’autres habiletés que la connaissance (theoria) et l’action (praxis).
Une tradition de la Renaissance italienne insiste sur la dignité du travail (labor) et de la vie active. Si l’homme ne peut, comme Dieu, créer à partir de rien, par son travail, il « imite toutes les œuvres de la nature divine et exécute, corrige, perfectionne les ouvrages de la nature inférieure », selon Ficin. Les fabrications de l’âme humaine ne sont-elles pas les signes de la puissance presque divine de l’homme ?
Au début du cinquième chapitre du Second Traité du gouvernement, Locke explique qu’il s’efforcera de montrer « comment les hommes en viennent à acquérir une propriété sur certaines parties de ce que Dieu a donné en commun au genre humain, et cela sans aucun accord exprès de l’ensemble des copossesseurs ».
Dans la seconde partie du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau soutient que l’éloignement de l’état de nature a d’abord conduit à « un juste milieu entre l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour-propre », mais que « tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce ».
Platon, dans La République, concevait la division du travail comme une répartition des tâches délibérément mise en œuvre par l’intelligence humaine. Smith propose d’y voir plutôt un phénomène immanent au processus de production. Quel est le principe de cette division, si ce n’est la recherche d’une manière optimale de satisfaire des besoins définis ? En quoi diviser le travail est-il avantageux ?
Selon Smith, la division du travail « n’est pas à l’origine l’effet de quelque sagesse humaine qui prévoit et veut l’opulence générale qu’elle suscite » ; elle est plutôt une conséquence « nécessaire », qui ne se fonde sur aucune bienveillance, mais sur l’intérêt particulier. Comment l’intérêt particulier en vient- il à engendrer un système qui apporte un bien général ?
Qui travaille s’habitue, pour satisfaire ses besoins, à s’occuper d’un objet particulier. La division du travail en tâches de plus en plus simples, abstraites, ne tend-elle pas, dès lors, à isoler les individus dans leur particularité en restreignant le champ de leurs préoccupations ? Mais est- ce là son seul effet ?
Pour Marx, la fonction initiale du travail, lorsqu’il est « vraiment humain », est d’accomplir les caractéristiques de l’être humain, être à la fois biologique et social. Cependant, dans certaines conditions, et en particulier avec la révolution industrielle, le travail devient « aliénant ». Comment le travail peut- il donc devenir étranger à celui qui l’exécute ?
Transformant la compréhension aristotélicienne de l’homme comme « animal politique », Marx, en plaçant les mécanismes de production au centre des « différentes formes de connexion sociale », s’oppose à une conception romanesque de l’être humain qui négligerait l’importance de son inscription sociale.
Si les « déplacements » d’énergie vitale (libido) sont un « gain de plaisir », avance Freud, dans Le Malaise dans la culture, toujours est- il que cette méthode « n’est accessible qu’à peu d’hommes » et qu’« elle fait d’ordinaire défaillance lorsque le corps propre devient la source de la souffrance ». À cette occasion, dans une note de bas de page de l’ouvrage, Freud précise les relations du travail humain et de la vie de l’âme.
Dans le troisième chapitre de La Structure du comportement, Merleau-Ponty interroge le passage de comportements vitaux propres aux animaux aux comportements spécifiquement humains. Que nous dit le travail sur la structure des comportements humains ?
La tradition marxiste définit le travail aliéné comme une privation de la propriété des moyens de la production, de la maîtrise du processus de production, et de la propriété de l’objet produit. Simondon discute cette définition. L’aliénation n’estelle pas d’abord culturelle et cognitive ? Les catégories du capital et du travail ne sont-elles pas « inessentielles par rapport à l’activité technique » ?
L’Étranger, personnage principal du Sophiste, redoute d’être « devenu une sorte de parricide », c’est-à- dire d’avoir tué le père de la pensée, Parménide, qui soutenait que « seul l’être est, le non- être n’est pas ». Car qui veut comprendre le magicien, l’expert en illusion qu’est le sophiste, doit pouvoir penser la réalité du faux.
Dans le livre IV du De rerum natura (De la nature), Lucrèce, réfléchissant aux phénomènes trompeurs qui accompagnent souvent l’exercice des sens (reflets, illusions, mirages, échos, ombres, rêves, fantasmes), se demande s’il faut conclure à une tromperie irrémédiable des sens. « N’impute pas aux yeux les défauts de l’esprit », déclare le poète et disciple d’Épicure.
Le paragraphe 40 du dialogue intitulé "Le Maître" d’Augustin est consacré à l’enseignement de ces « choses que nous contemplons par l’esprit, c’est-à- dire par l’intellect et la raison ». La considération des choses intelligibles, à la différence des choses sensibles, est au fondement d’une critique de la prétendue puissance démonstrative des mots.
Pour réduire l’ignorance, il faut être certain que ce qui est ignoré est proportionné à ce qui est connu. Sinon, la connaissance ne saurait progresser. Mais comment acquérir une telle certitude ? Y parvenir reviendrait à surmonter une contradiction logique insurmontable, où l’on saurait déjà ce qui reste encore à savoir. Ainsi, c’est la possibilité d’un accès absolument exact à la vérité qui est remise en cause par Nicolas de Cues dans La Docte Ignorance.
Mersenne, correspondant de Descartes, lui avait envoyé l’ouvrage "De veritate" (« De la vérité »), d’Herbert de Cherbury. Le remerciant pour son envoi, Descartes lui répond que définir la vérité, c’est risquer d’en opacifier l’intelligence : l’évidence de la « lumière naturelle » qu’est notre raison doit suffire à en comprendre le sens.
Dans "De l’esprit géométrique et de l’art de persuader", Pascal cherche à définir la manière de prouver une vérité que l’on possède. Prenant la géométrie comme modèle, il affirme que la « véritable méthode » consisterait « à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions ». Mais cet idéal semble être impossible à appliquer dans la pratique.
L’entendement, pour être apte à la connaissance de la plus haute perfection à laquelle l’homme doit parvenir, doit être réformé. Se pose alors un problème de méthode, l’entendement étant à la fois ce qui est à réformer et ce qui va déterminer les voies de la réforme. La recherche de la vérité n’est-elle pas compromise ?
Descartes soutient dans son œuvre qu’un critère fiable de la vérité d’une proposition est son évidence, c’est-à- dire sa clarté et sa distinction intrinsèques. Ainsi pourraient être justifiées des propositions fondamentales, sur lesquelles d’autres propositions, moins évidentes, pourraient ensuite être étayées. Leibniz discute cette conception.
Dans l’Enquête sur l’entendement humain, Hume soutient que les vérités qui concernent les faits ne peuvent ni être démontrées par le raisonnement ni s’appuyer sur une évidence intuitive ; elles reposent sur des associations d’idées opérées par l’imagination humaine, sous l’effet de l’habitude. Est- ce à dire que ces vérités se réduisent à des fictions sans consistance ?
Dans la quatrième promenade des Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau se livre à un examen de conscience : lui qui avait pour devise de consacrer sa vie à la vérité (« vitam impendere vero ») reconnaît s’être souvent livré à des « inventions », à des mensonges « de gaieté de cœur, sans nécessité, sans profit ». Que devons-nous à la vérité ?
Les additions à l’Encyclopédie des sciences philosophiques sont issues des notes de cours des élèves de Hegel. S’y trouvent explicités, à des fins pédagogiques, des concepts centraux. Hegel propose une définition de la vérité qui ne subordonne pas la vérité d’une pensée à la réalité factuelle. La vérité serait alors l'accord d’un contenu avec lui?même.
Pour Tocqueville, la démocratie ne se réduit pas à un ensemble d’institutions politiques ; c’est avant tout un état social caractérisé par une égalité des conditions. Un tel état social exerce une influence sur les mœurs et les habitudes intellectuelles des individus, pouvant encourager l’exercice individuel de la raison. Est-ce à dire que les autorités sociales censées dire la vérité deviennent inutiles ?
Au lieu de se demander quels sont les critères de la vérité, Nietzsche s’interroge sur la « valeur de la vérité » pour la vie et sur l’origine de notre désir de connaissance. La perspective généalogique démasque alors, sous l’apparence d’une poursuite désintéressée de la vérité, une croyance qui dépasse le domaine restreint de la recherche scientifique.
Une tradition classique définit la vérité comme l’accord, ou l’adéquation, entre le réel et sa représentation. Cette définition a pu être discutée, voire récusée. James en accepte l’essentiel, mais en nuance le concept ; en effet, les modes d’acquisition de la vérité, c’est-à- dire le dynamisme de l’enquête, ne sont-ils pas cruciaux pour qui veut en saisir la notion ?
La conscience de soi atteint sa satisfaction seulement dans une autre conscience de soi.
La Nature m’enseigne que je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu’un pilote en son navire mais que je compose comme un seul tout avec lui.
Le désir, la privation est la condition préliminaire de toute jouissance. Or, avec la satisfaction cesse le désir, et par conséquent la jouissance aussi.
L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant.
Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience.
Le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande.
Les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l’enfer, pour remplir le ciel, ils n’ont plus trouvé que l’ennui.
Cette sorte de servitude réglée, douce et paisible (...) à l’ombre même de la souveraineté du peuple.