• Rousseau
Le sacrifice individuel face à  la responsabilité collective
devoir - état



Le contexte :

Rousseau interroge la légitimité du sacrifice d'un individu pour le bien commun. il réfute l'idée que l'état puisse sacrifier un innocent pour le salut de la majorité, soulignant la solidarité fondamentale entre tous les citoyens.

L' auteur :

Rousseau

(1712-1778) Repense les structures de la société et de l'éducation à son époque. Son effort philosophique vise à unifier sous une même pensée la relation qu'ont les hommes entre eux dans la société, l'effet de la société moderne sur ces derniers, et la source de cette relation.

Le repère :

intuitif/discursif

Le texte :

« L'engagement du corps de la nation n'est-il pas de pourvoir à la conservation du dernier de ses membres avec autant de soin qu'à celle de tous les autres ? Et le salut d'un citoyen est-il moins la cause commune que celui de tout l'État ? Qu'on nous dise qu'il est bon qu'un seul périsse pour tous, j'admirerai cette sentence dans la bouche d'un digne et vertueux patriote qui se consacre volontairement et par devoir à la mort pour le salut de son pays : mais si l'on entend qu'il soit permis au gouvernement de sacrifier un innocent au salut de la multitude, je tiens cette maxime pour une des plus exécrables que jamais la tyrannie ait inventées, la plus fausse qu'on puisse avancer, la plus dangereuse que l'on puisse admettre, et la plus directement opposée aux lois fondamentales de la société. Loin qu'un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens et leurs vies à la défense de chacun d'eux, afin que la faiblesse particulière fût toujours protégée par la force publique, et chaque membre par tout l'État. Après avoir par supposition retranché du peuple un individu après l'autre, pressez les partisans de cette maxime à mieux expliquer ce qu'ils entendent par le corps de l'État, et vous verrez qu'ils le réduiront à la fin à un petit nombre d'hommes qui ne sont pas le peuple, mais les officiers du peuple , et qui s'étant obligés par un serment particulier à périr eux-mêmes pour son salut, prétendent prouver par là que c'est à lui de périr pour le leur. »
Rousseau, Discours sur l'économie politique

Les questions :



[A] - Questions d'analyse
1) Quelle est l'idée principale défendue par l'auteur dans ce texte ?
2) Selon l'auteur, quel est le r��le de l'État envers ses citoyens ?
3) Quelle est la critique principale de l'auteur envers la maxime "qu'un seul doive périr pour tous" ?
4) Comment Rousseau argumente-t-il contre cette maxime ?

[B] - Éléments de synth��se
1) Expliquez la phrase : "L'engagement du corps de la nation n'est-il pas de pourvoir à la conservation du dernier de ses membres avec autant de soin qu'à celle de tous les autres ?"
2) En vous aidant des éléments précédents, dégagez l'idée principale du texte ainsi que les étapes de son argumentation.

[C] - Commentaire
1) Selon vous, la maxime "qu'un seul doive périr pour tous" est-elle justifiable ? Justifiez votre réponse.
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si la protection de chaque membre de la société est une responsabilité de l'État.

L'analyse :

Dans ce texte, rousseau s'interroge sur la légitimité du sacrifice d'un individu au nom du bien commun.

Il s'oppose à l'idée que le gouvernement puisse disposer de la vie d'un citoyen innocent pour le salut de la multitude.

Il développe son argumentation en trois temps :

- dans le premier paragraphe, il affirme que l'engagement du corps de la nation est de protéger tous ses membres sans exception, et que le salut d'un citoyen est aussi important que celui de tout l'état.

Il oppose deux conceptions du patriotisme : l'une qui repose sur le volontariat et le devoir, l'autre qui repose sur la contrainte et l'injustice.

Il rejette cette dernière comme étant tyrannique, fausse, dangereuse et contraire aux lois fondamentales de la société.



- dans le second paragraphe, il renverse la maxime qu'il critique en affirmant que loin qu'un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens et leurs vies à la défense de chacun.

Il souligne ainsi le principe de solidarité qui fonde le contrat social, selon lequel chaque membre bénéficie de la protection de la force publique et de tout l'état.



- dans le troisième paragraphe, il dénonce l'hypocrisie des partisans de la maxime qu'il réfute, en montrant qu'ils confondent le corps de l'état avec un petit nombre d'hommes qui sont les officiers du peuple, c'est-à-dire les détenteurs du pouvoir.

Il révèle ainsi leur intérêt personnel et leur abus de pouvoir, qui les conduisent à exiger du peuple qu'il périsse pour leur salut, alors qu'ils se sont engagés par serment à périr pour le sien.

Rousseau utilise plusieurs moyens pour convaincre son lecteur :

- il recourt à des questions rhétoriques qui impliquent la réponse qu'il souhaite faire admettre.



- il utilise des oppositions binaires qui mettent en relief les deux conceptions du patriotisme et du contrat social qu'il compare.



- il emploie des termes forts et péjoratifs pour qualifier la maxime qu'il rejette, tels que "exécrable", "tyrannie", "dangereuse", etc.



- il fait appel à des notions morales et juridiques, comme le devoir, l'innocence, la justice, les lois fondamentales, etc.



- il procède à une réduction par l'absurde en imaginant retrancher du peuple un individu après l'autre, jusqu'à ne plus avoir que les officiers du peuple.

Rousseau a pour enjeu de défendre sa conception du contrat social, selon laquelle le peuple est souverain et indivisible, et que nul ne peut être privé de ses droits naturels sans son consentement.

Il veut dénoncer les abus de pouvoir qui menacent la liberté et l'égalité des citoyens.

Il veut aussi promouvoir une forme de patriotisme qui repose sur le respect mutuel et la participation active à la chose publique.