Dans ce texte extrait de "émile", rousseau souligne que l'étude des langues ne se limite pas aux mots, mais modifie également les idées qu'ils représentent. il affirme que chaque langue donne une forme particuliàùre à l'esprit, et que les enfants ne peuvent apprendre qu'une seule langue, malgré l'utilisation de synonymes.
(1712-1778) Repense les structures de la société et de l'éducation à son époque. Son effort philosophique vise à unifier sous une même pensée la relation qu'ont les hommes entre eux dans la société, l'effet de la société moderne sur ces derniers, et la source de cette relation.
identité/égalité/différence
« Si l'étude des langues n'était que celle des mots, c'est-à-dire des figures ou des sons qui les expriment, cette étude pourrait convenir aux enfants, mais les langues ne modifient pas seulement les signes, elles modifient aussi les idées qu'ils représentent. Les têtes se forment sur les langages, les pensées prennent la teinte des idiomes, la raison seule est commune, l'esprit dans chaque langue a sa forme particulière. De ces formes diverses l'habitude en donne une à l'enfant et c'est la seule qu'il garde jusqu'à l'âge de raison. Pour en avoir deux il faudrait qu'il sût comparer des idées, et comment les comparerait-il quand il est à peine en état de les concevoir ? Chaque chose peut avoir pour lui mille signes différents mais chaque idée ne peut avoir qu'une forme ; il ne peut donc apprendre et parler qu'une langue. Il en apprend cependant plusieurs, me dit-on. Je le nie. J'ai vu de ces petits prodiges qui croyaient parler cinq ou six langues. Je les ai entendus successivement parler allemand en termes latins, en termes français, en termes italiens. Ils se servaient à la vérité de cinq ou six dictionnaires, mais ils ne parlaient qu'allemand. En un mot, donnez aux enfants tant de synonymes que vous voudrez, ils pourront prononcer plusieurs mots mais ils n'apprendront jamais qu'une langue. »
Rousseau, Émile
[A] û Questions dÆanalyse
1) Qu'est-ce que l'auteur veut dire par "les langues ne modifient pas seulement les signes, elles modifient aussi les idées qu'ils représentent" ?
2) Comment est-ce que les langues influencent la formation de la pensée et des idées ?
3) En quoi est-ce que l'habitude influence les langues que les enfants apprennent ?
4) Pourquoi l'auteur affirme-t-il que les enfants ne peuvent apprendre et parler qu'une seule langue ?
[B] û Éléments de synth��se
1) Expliquez la phrase : "Les têtes se forment sur les langages, les pensées prennent la teinte des idiomes, la raison seule est commune, l'esprit dans chaque langue a sa forme particuli��re."
2) En vous aidant des éléments précédents, dégagez l'idée principale du texte ainsi que les étapes de son argumentation.
[C] û Commentaire
1) Est-ce que vous êtes d'accord avec l'auteur lorsqu'il affirme que les enfants ne peuvent apprendre qu'une seule langue ? Justifiez votre réponse.
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si l'apprentissage de plusieurs langues est bénéfique pour le développement intellectuel des enfants.
Voici un exemple de développement possible :
dans ce texte, rousseau s'interroge sur l'apprentissage des langues par les enfants.
Il soutient que les langues ne sont pas de simples systèmes de signes, mais qu'elles influencent la façon de penser et de raisonner.
Il en déduit que les enfants ne peuvent apprendre qu'une seule langue, celle qui leur donne une forme particulière d'esprit.
Il réfute l'idée que certains enfants puissent parler plusieurs langues, en affirmant qu'ils ne font que répéter des mots sans comprendre les idées qu'ils expriment.
Pour étayer sa thèse, rousseau utilise plusieurs procédés argumentatifs :
- il oppose d'abord l'étude des mots à celle des idées, en montrant que la première est insuffisante et superficielle, tandis que la seconde est essentielle et profonde.
Il utilise pour cela une concession ("si l'étude des langues n'était que celle des mots.
"), suivie d'une restriction ("mais les langues ne modifient pas seulement les signes.
Il souligne ainsi que les langues ne sont pas de simples conventions arbitraires, mais qu'elles reflètent et façonnent la pensée.
- il montre ensuite que les langues ont une influence sur la formation de l'esprit, en utilisant des expressions qui suggèrent une transformation ou une adaptation : "les têtes se forment sur les langages", "les pensées prennent la teinte des idiomes", "l'esprit dans chaque langue a sa forme particulière".
Il affirme que la raison est la seule faculté commune à tous les hommes, mais que l'esprit varie selon les langues.
Il implique ainsi que les langues sont porteuses de valeurs, de cultures, de modes de pensée spécifiques.
- il explique enfin pourquoi les enfants ne peuvent apprendre qu'une seule langue, en invoquant leur incapacité à comparer et à concevoir des idées.
Il utilise pour cela un raisonnement hypothético-déductif : "pour en avoir deux il faudrait qu'il s¹t comparer des idées, et comment les comparerait-il quand il est à peine en état de les concevoir ?".
Il pose comme condition nécessaire à l'apprentissage de plusieurs langues la capacité à abstraire et à analyser les idées, ce qui suppose un développement intellectuel que les enfants n'ont pas encore atteint.
- il conteste enfin l'existence de "ces petits prodiges qui croyaient parler cinq ou six langues", en dénonçant leur illusion et leur ignorance.
Il utilise pour cela une ironie mordante ("je les ai entendus successivement parler allemand en termes latins, en termes français, en termes italiens.
Ils se servaient à la vérité de cinq ou six dictionnaires, mais ils ne parlaient qu'allemand.
") et une formule lapidaire ("en un mot.
Il réduit ainsi leur prétendu savoir à un simple usage mécanique et confus des mots, sans rapport avec les idées.
Par ce texte, rousseau cherche à montrer que les langues sont plus qu'un simple outil de communication, mais qu'elles sont le reflet et le vecteur d'une pensée singulière.
Il veut aussi souligner l'importance de respecter le développement naturel de l'enfant, sans lui imposer un apprentissage artificiel et prématuré des langues.
Il invite ainsi à réfléchir sur le rapport entre le langage et la pensée, entre la diversité culturelle et l'universalité humaine.