Le texte :
« Y a-t-il un homme, me?me moyennement honne?te, a? qui il ne soit parfois arrive? de renoncer a? un mensonge, par ailleurs inoffensif, par lequel il pouvait se tirer lui-me?me d'un mauvais pas, ou bien me?me rendre service a? un ami cher et me?ritant, uniquement pour pouvoir ne pas se rendre secre?tement me?prisable a? ses propres yeux ? L'honne?te homme frappe? par un grand malheur qu'il aurait pu e?viter, s'il avait seulement pu manquer a? son devoir, n'est- il pas soutenu par la conscience d'avoir maintenu et honore? en sa personne la dignite? propre a? l'humanite?, de n'avoir pas a? rougir de lui-me?me et de ne pas redouter le regard interne de l'examen de conscience ? Cette consolation n'est pas le bonheur, elle n'en est pas me?me la plus petite partie. Nul, en effet, ne souhaitera l'occasion de l'e?prouver, ni peut-e?tre me?me ne de?sirerait la vie a? ces conditions ; mais il vit, et ne peut supporter d'e?tre a? ses propres yeux indigne de la vie. Cet apaisement inte?rieur est donc purement ne?gatif, par rapport a? tout ce qui peut rendre la vie agre?able ; il consiste en effet a? e?carter le danger de de?cliner en valeur personnelle, alors qu'on a de?ja? renonce? entie?rement a? celle de sa situation. Il est l'effet d'un respect pour quelque chose de bien diffe?rent de la vie, et aupre?s duquel au contraire la vie, avec tout ce qu'elle a d'agre?able, n'a en comparaison et en opposition aucune valeur. L'homme dont nous parlions ne vit plus que par devoir, et non parce qu'il trouve le moindre gou?t a? la vie. »
Kant, Critique de la raison pratique (1788)