Le texte :
« Le cerveau sert a? effectuer ce choix : il actualise les souvenirs utiles, il maintient dans le sous-sol de la conscience ceux qui ne serviraient a? rien. On en dirait autant de la perception. Auxiliaire de l’action, elle isole, dans l’ensemble de la re?alite?, ce qui nous inte?resse ; elle nous montre moins les choses me?mes que le parti que nous en pouvons tirer. Par avance elle les classe, par avance elle les e?tiquette ; nous regardons a? peine l’objet, il nous suffit de savoir a? quelle cate?gorie il appartient. Mais, de loin en loin, par un accident heureux, des hommes surgissent dont les sens ou la conscience sont moins adhe?rents a? la vie. La nature a oublie? d’attacher leur faculte? de percevoir a? leur faculte? d’agir. Quand ils regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perc?oivent plus simplement en vue d’agir ; ils perc?oivent pour percevoir, - pour rien, pour le plaisir. Par un certain co?te? d’eux- me?mes, soit par leur conscience soit par un de leurs sens, ils naissent de?tache?s ; et, selon que ce de?tachement est celui de tel ou tel sens, ou de la conscience, ils sont peintres ou sculpteurs, musiciens ou pū?tes. C’est donc bien une vision plus directe de la re?alite? que nous trouvons dans les diffe?rents arts ; et c’est parce que l’artiste songe moins a? utiliser sa perception qu’il perc?oit un plus grand nombre de choses. »
Bergson, La pense?e et le mouvant