(1844-1900) Répond aux attaques faites à l'encontre de la philosophie à son époque : elle serait inutile et incertaine, contrairement aux nouvelles sciences expérimentales et humaines. Toute sa philosophie vise à contredire cette invective.
objectif/subjectif/intersubjectif
« Qu’il soit perc?ant ou faible, mon ūil ne voit qu’a? une certaine distance. Je vis et j’agis dans cet espace, cette ligne d’horizon est ma plus proche destine?e, grande ou petite, a? laquelle je ne puis e?chapper. Autour de chaque e?tre s’e?tend ainsi un cercle concentrique qui lui est particulier. De me?me notre oreille nous enferme dans un petit espace, de me?me notre sens du toucher. C’est d’apre?s ces horizons, ou? nos sens enferment chacun de nous comme dans les murs d’une prison, que nous mesurons le monde, en disant que telle chose est pre?s, telle autre loin, telle chose grande, telle autre petite, telle chose dure et telle autre molle : nous appelons �oesensation” cette fac?on de mesurer, et tout cela est erreur en soi ! D’apre?s le nombre des e?ve?nements et des e?motions qui sont, en moyenne, possibles pour nous, dans un espace de temps donne?, on mesure sa vie, on la dit courte ou longue, riche ou pauvre, remplie ou vide : et d’apre?s la moyenne de la vie humaine, on mesure celle de tous les autres e?tres, et tout cela est erreur en soi ! Si nous avions un ūil cent fois plus perc?ant pour les choses proches, l’homme nous semblerait e?norme ; on pourrait me?me imaginer des organes au moyen desquels l’homme nous apparai?trait incommensurable. D’autre part, certains organes pourraient e?tre conforme?s de fac?on a? re?duire et a? re?tre?cir des syste?mes solaires tout entiers, pour les rendre pareils a? une seule cellule : et pour des e?tres de l’ordre inverse, une seule cellule du corps humain pourrait apparai?tre, dans sa construction, son mouvement et son harmonie, tel un syste?me solaire. Les habitudes de nos sens nous ont enveloppe?s dans un tissu de sensations mensonge?res qui sont, a? leur tour, la base de tous nos jugements et de toutes nos �oeconnaissances”, il n’y a absolument pas d’issue, pas d’e?chappatoire, pas de sentier de?tourne? vers le monde re?el ! Nous sommes dans notre toile comme des araigne?es, et quoi que nous puissions y prendre, ce ne sera toujours que ce qui se laissera prendre a? notre toile. »
Nietzsche, Aurore (1881)
[a] û questions dÆanalyse
1) Quelle est la signification de l'expression "cercle concentrique" utilisée dans le texte ?
2) Selon l'auteur, en quoi consiste l'erreur liée à notre perception du monde ?
3) Comment l'auteur définit-il la sensation dans le texte ?
4) Quels sont les effets des habitudes de nos sens décrits par l'auteur dans le texte ?
[b] û éléments de synth��se
1) Expliquez en quoi consiste la mesure de la vie selon l'auteur.
2) À partir des éléments précédents, dégagez l'idée principale du texte ainsi que les étapes de l'argumentation de l'auteur.
[c] û commentaire
1) Faut-il remettre en question la fiabilité de nos sens selon vous ? Justifiez votre réponse.
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si notre perception du monde est une construction subjective ou si elle refl��te une réalité objective.
Voici un exemple de développement possible :
dans ce texte, nietzsche remet en cause la valeur de nos sensations et de nos connaissances, qu'il considère comme des erreurs en soi.
Il montre que notre perception du monde est relative à nos organes sensoriels, qui nous enferment dans des limites arbitraires et nous empêchent d'accéder au réel.
Il commence par prendre l'exemple de la vue, qui ne nous permet de voir qu'à une certaine distance, et qui détermine notre espace d'action et notre destinée.
Il généralise ensuite à tous les sens, qui nous confinent dans un cercle concentrique propre à chaque être.
Il affirme que c'est à partir de ces horizons que nous jugeons les qualités des choses, comme la proximité, la grandeur, la dureté, etc.
Il appelle cette façon de mesurer "sensation", et il la qualifie d'erreur en soi, c'est-à-dire d'illusion qui ne correspond pas à la réalité des choses.
Il poursuit en appliquant le même raisonnement à la durée de la vie, qui est mesurée selon le nombre d'événements et d'émotions possibles dans un temps donné.
Il souligne que nous évaluons notre vie et celle des autres êtres selon la moyenne de la vie humaine, ce qui est encore une erreur en soi.
Il imagine ensuite que nous puissions avoir des organes différents, qui modifieraient radicalement notre perception des choses, en les agrandissant ou en les rétrécissant à l'extrême.
Il en conclut que les habitudes de nos sens nous ont enveloppés dans un tissu de sensations mensongères, qui sont la base de tous nos jugements et de toutes nos connaissances.
Il termine par une métaphore forte, celle de l'araignée dans sa toile, pour exprimer l'idée qu'il n'y a pas d'issue ni d'échappatoire au monde illusoire que nous construisons avec nos sens.
Il suggère que nous ne pouvons saisir que ce qui se laisse prendre à notre toile, c'est-à-dire ce qui est compatible avec notre mode de perception, mais pas ce qui est réellement.
Par ce texte, nietzsche veut donc nous faire prendre conscience de la relativité et de l'erreur de nos sensations et de nos connaissances, qui sont dépendantes de nos organes et de nos habitudes.
Il veut nous faire douter de la possibilité d'accéder au monde réel, qui reste hors de notre portée.
Il veut aussi nous faire réfléchir sur les conséquences éthiques et existentielles de cette situation, qui peut nous conduire au nihilisme ou à la volonté de puissance.