Dans ce texte, bergson questionne la nature du temps et de la conscience. il explore la continuité de notre vie intérieure en utilisant l'exemple de l'articulation d'un mot et souligne l'absence de points de rupture dans notre expérience subjective du temps.
(1859-1941) Remet en question la vision selon laquelle l'histoire viserait un progrès dans les sciences. Il propose une nouvelle philosophie permettant d'analyser le contenu conscient de l'expérience immédiate.
identité/égalité/différence
« En ce moment je cause avec vous, je prononce le mot �oecauserie”. Il est clair que ma conscience se représente ce mot tout d'un coup ; sinon, elle n'y verrait pas un mot unique, elle ne lui attribuerait pas un sens. Pourtant, lorsque j'articule la dernière syllabe du mot, les deux premières ont été articulées déjà ; elles sont du passé par rapport à celle-là, qui devrait alors s'appeler du présent. Mais cette dernière syllabe �oerie”, je ne l'ai pas prononcée instantanément ; le temps, si court soit-il, pendant lequel je l'ai émise, est décomposable en parties, et ces parties sont du passé par rapport à la dernière d'entre elles, qui serait, elle, du présent définitif si elle n'était décomposable à son tour : de sorte que vous aurez beau faire, vous ne pourrez tracer une ligne de démarcation entre le passé et le présent, ni par conséquent entre la mémoire et la conscience. A vrai dire, quand j'articule le mot �oecauserie”, j'ai présents à l'esprit non seulement le commencement, le milieu et la fin du mot, mais encore les mots qui ont précédé, mais encore tout ce que j'ai déjà prononcé de la phrase ; sinon, j'aurais perdu le fil de mon discours. Maintenant, si la ponctuation du discours eût été différente, ma phrase eût pu commencer plus tôt ; elle eût englobé, par exemple, la phrase précédente, et mon �oeprésent” se fût dilaté encore davantage dans le passé. Poussons ce raisonnement jusqu'au bout : supposons que mon discours dure depuis des années, depuis le premier éveil de ma conscience, qu'il se poursuive en une phrase unique, et que ma conscience soit assez détachée de l'avenir, assez désintéressée de l'action, pour s'employer exclusivement à embrasser le sens de la phrase : je ne chercherais pas plus d'explication, alors, à la conservation intégrale de cette phrase que je n'en cherche à la survivance des deux premières syllabes du mot �oecauserie” quand je prononce la dernière. Or, je crois bien que notre vie intérieure tout entière est quelque chose comme une phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgules, mais nulle part coupée par des points. »
Bergson
[A] - Questions d'analyse :
1) Comment l'auteur définit-il la conscience dans ce texte ?
2) Quelle est la relation entre la conscience et le temps selon l'auteur ?
3) En quoi la ponctuation du discours influence-t-elle la perception du temps dans le texte ?
4) Quelle est la métaphore utilisée par l'auteur pour décrire la vie intérieure ?
[B] - Éléments de synth��se :
1) Expliquez la phrase : "je ne chercherais pas plus d'explication, alors, à la conservation intégrale de cette phrase que je n'en cherche à la survivance des deux premi��res syllabes du mot 'causerie' quand je prononce la derni��re."
2) Quelle est l'idée principale du texte selon vous ? Quelles sont les étapes de l'argumentation de l'auteur ?
[C] - Commentaire :
1) Selon Bergson, pourquoi ne cherche-t-on pas d'explication à la conservation intégrale d'une phrase ou des deux premi��res syllabes d'un mot ?
2) En vous basant sur vos connaissances et vos lectures, discutez de l'idée avancée par Bergson selon laquelle notre vie intérieure est comme une phrase unique sans coupure.
Voici un exemple de développement possible :
l'auteur du texte, bergson, cherche à montrer que la distinction entre le passé et le présent, entre la mémoire et la conscience, n'est pas aussi nette qu'on pourrait le croire.
Il prend pour cela l'exemple d'un mot prononcé, "causerie", et analyse les différentes étapes de sa production et de sa perception.
Il commence par affirmer que sa conscience se représente le mot tout d'un coup, c'est-à-dire qu'elle lui attribue un sens global et unitaire, sans le décomposer en parties.
Il s'agit là d'une intuition immédiate, qui ne nécessite pas de réflexion ni de raisonnement.
C'est ce qu'il appelle le présent.
Mais il remarque ensuite que ce présent est en fait composé de plusieurs moments successifs, qui sont du passé par rapport au dernier.
Il en déduit que le présent n'est pas un instant indivisible, mais une durée qui s'étend dans le passé.
Il s'agit là d'une analyse rétrospective, qui implique une mémoire qui conserve les parties du mot déjà prononcées.
Il poursuit son raisonnement en élargissant son exemple au-delà du mot, à la phrase entière, voire au discours tout entier.
Il montre que sa conscience a présents à l'esprit non seulement le mot en cours, mais aussi les mots qui ont précédé, et même tout ce qu'il a déjà dit depuis le début de sa causerie.
Il s'agit là d'une synthèse progressive, qui nécessite une mémoire qui intègre les parties du discours en un tout signifiant.
Il conclut en imaginant que son discours dure depuis toujours, depuis le premier éveil de sa conscience, et qu'il se poursuive en une phrase unique, sans interruption ni fin.
Il s'agit là d'une hypothèse extrême, qui suppose une mémoire qui conserve intégralement sa vie intérieure, sans oubli ni sélection.
A travers cet exemple, bergson veut donc nous faire comprendre que la mémoire n'est pas une faculté distincte de la conscience, mais qu'elle est au contraire inséparable d'elle.
La mémoire n'est pas un simple stockage du passé, mais une actualisation permanente du passé dans le présent.
La conscience n'est pas une simple perception du présent, mais une création continue du présent à partir du passé.
La vie intérieure est ainsi une phrase unique, qui exprime le sens de notre existence.