Dans cet extrait de son essai sur les données immédiates de la conscience, bergson explore le concept de la perception et souligne l'évolution constante de nos impressions. il remet en question notre tendance à solidifier nos expériences et à confondre le sentiment changeant avec son objet extérieur permanent.
(1859-1941) Remet en question la vision selon laquelle l'histoire viserait un progrès dans les sciences. Il propose une nouvelle philosophie permettant d'analyser le contenu conscient de l'expérience immédiate.
identité/égalité/différence
« Quand je me promène pour la première fois, par exemple, dans une ville où je séjournerai, les choses qui m'entourent produisent en même temps sur moi une impression qui est destinée à durer, et une impression qui se modifiera sans cesse. Tous les jours j'aperçois les mêmes maisons, et comme je sais que ce sont les mêmes objets, je les désigne constamment par le même nom, et je m'imagine aussi qu'elles m'apparaissent toujours de la même manière. Pourtant, si je me reporte, au bout d'un assez long temps, à l'impression que j'éprouvai pendant les premières années, je m'étonne du changement singulier, inexplicable et surtout inexprimable, qui s'est accompli en elle. Il semble que ces objets, continuellement perçus par moi et se peignant sans cesse dans mon esprit, aient fini par m'emprunter quelque chose de mon existence consciente ; comme moi ils ont vécu, et comme moi vieilli. Ce n'est pas là illusion pure ; car si l'impression d'aujourd'hui était absolument identique à celle d'hier, quelle différence y aurait-il entre percevoir et reconnaître, entre apprendre et se souvenir ? Pourtant cette différence échappe à l'attention de la plupart ; on ne s'en apercevra guère qu'à la condition d'en être averti, et de s'interroger alors scrupuleusement soi-même. La raison en est que notre vie extérieure et pour ainsi dire sociale a plus d'importance pratique pour nous que notre existence intérieure et individuelle. Nous tendons instinctivement à solidifier nos impressions, pour les exprimer par le langage. De là vient que nous confondons le sentiment même, qui est dans un perpétuel devenir, avec son objet extérieur permanent, et surtout avec le mot qui exprime cet objet. »
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience
[A] - Questions d'analyse :
1. Comment l'auteur décrit-il l'impression que les objets produisent sur lui lorsqu'il se prom��ne dans une ville pour la premi��re fois ?
2. Quel changement s'est produit dans l'impression que l'auteur a ressentie apr��s un certain temps ?
3. Pourquoi l'auteur affirme-t-il que l'impression d'aujourd'hui n'est pas identique à celle d'hier ?
4. Comment l'auteur explique-t-il la confusion entre le sentiment et l'objet extérieur permanent ?
[B] - Éléments de synth��se :
1. Expliquez ce que l'auteur veut dire par "solidifier nos impressions".
2. Quelle est l'idée principale du texte et quelles sont les étapes de l'argumentation de l'auteur ?
[C] - Commentaire :
1. Selon vous, pourquoi l'auteur insiste-t-il sur l'importance de la vie intérieure et individuelle ?
2. À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, expliquez comment la perception peut être affectée par la mémoire et les expériences passées.
Voici un possible développement de l'analyse du texte :
dans ce texte, bergson s'intéresse à la manière dont nous percevons les choses qui nous entourent, et à l'évolution de nos impressions au fil du temps.
Il prend l'exemple d'une ville où l'on séjourne, et il distingue deux types d'impressions : une impression initiale, qui est destinée à durer, et une impression qui se modifie sans cesse, au gré de nos perceptions quotidiennes.
Il cherche à montrer que ces impressions ne sont pas identiques, mais qu'elles sont influencées par notre existence consciente, et qu'elles échappent souvent à notre attention.
Pour cela, il procède par plusieurs étapes :
- il commence par décrire la situation où l'on se promène pour la première fois dans une ville, et où l'on reçoit une impression globale des choses qui nous entourent.
Il utilise le terme de "destinée" pour souligner le caractère durable et marquant de cette impression, qui va servir de référence pour les suivantes.
- il poursuit en évoquant la répétition des perceptions des mêmes objets, qui nous amène à les nommer et à les reconnaître.
Il utilise le terme de "constamment" pour insister sur la stabilité apparente de ces objets, qui semblent nous apparaître toujours de la même manière.
Il oppose ainsi la permanence des objets à la variabilité des impressions.
- il introduit ensuite un élément de surprise, en affirmant que si l'on compare l'impression actuelle à l'impression initiale, on constate un changement singulier, inexplicable et inexprimable.
Il utilise le terme de "singulier" pour souligner le caractère unique et personnel de ce changement, le terme d'"inexplicable" pour indiquer qu'il n'est pas rationnel ni prévisible, et le terme d'"inexprimable" pour montrer qu'il ne peut pas être traduit par le langage.
Il suggère ainsi que ce changement relève d'une dimension intime et subjective de notre conscience.
- il explique ensuite ce changement par le fait que les objets perçus ont fini par nous emprunter quelque chose de notre existence consciente, comme si nous leur avions communiqué une part de notre vie et de notre vieillissement.
Il utilise le terme d'"emprunter" pour marquer l'idée d'un transfert ou d'une influence réciproque entre nous et les objets, et le terme de "vieillir" pour indiquer que ce transfert implique une transformation temporelle.
Il affirme ainsi que nos impressions sont le résultat d'une interaction dynamique entre nous et les choses.
- il conclut en affirmant que ce changement n'est pas une illusion pure, mais qu'il témoigne d'une différence réelle entre percevoir et reconnaître, entre apprendre et se souvenir.
Il utilise le terme de "différence" pour souligner qu'il ne s'agit pas d'un simple changement de degré, mais d'un changement de nature entre ces opérations mentales.
Il montre ainsi que nos impressions sont en perpétuel devenir, et qu'elles ne peuvent pas être réduites à des objets fixes ou à des mots.
Par ce texte, bergson veut donc mettre en évidence la richesse et la complexité de notre expérience sensible, qui ne se limite pas à une simple reproduction des choses extérieures, mais qui implique une participation active et créatrice de notre conscience.
Il veut aussi nous inviter à prendre conscience de cette dimension vivante et mouvante de nos impressions, qui échappe souvent à notre attention du fait de nos habitudes sociales et langagières.
Il veut enfin nous faire réfléchir sur les enjeux philosophiques de cette distinction entre perception et reconnaissance, entre sentiment et objet, entre impression et expression.