Dans cet extrait de "les deux sources de la morale et de la religion", bergson met en évidence le fait que l'amour pour nos proches et notre nation est instinctif et direct, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis. il souligne que la religion et la philosophie nous invitent à transcender ces liens pour atteindre l'amour de l'humanité, mais cela nécessite un dépassement de nos attaches initiales.
(1859-1941) Remet en question la vision selon laquelle l'histoire viserait un progrès dans les sciences. Il propose une nouvelle philosophie permettant d'analyser le contenu conscient de l'expérience immédiate.
obligation/contrainte
« Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit ? Tel est l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation ; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis. A ceux-là nous allons tout droit, à celle-ci nous ne venons que par un détour ; car c'est seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie l'homme à aimer le genre humain ; comme aussi c'est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les philosophes nous font regarder l'humanité pour nous montrer l'éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous au respect. Ni dans un cas ni dans l'autre nous n'arrivons a l'humanité par étapes, en traversant la famille et la nation. Il faut que, d'un bond, nous nous soyons transportés plus loin qu'elle et que nous l'ayons atteinte sans l'avoir prise pour fin, en la dépassant. Qu'on parle d'ailleurs le langage de la religion ou celui de la philosophie, qu'il s'agisse d'amour ou de respect, c'est une autre morale, c'est un autre genre d'obligation, qui viennent se superposer à la pression sociale. »
Bergson, Les deux Sources de la Morale et de la Religion
[a] û questions dÆanalyse
1) Expliquez en quoi la cohésion sociale est liée à la nécessité de se défendre contre les autres.
2) Que signifie l'expression "l'instinct primitif" ?
3) Comment l'amour pour nos proches et nos concitoyens diff��re-t-il de l'amour pour l'humanité dans son ensemble ?
4) Quels sont les moyens utilisés par la religion et la philosophie pour inviter à aimer l'humanité ?
[b] û éléments de synth��se
1) Expliquez le sens de l'affirmation selon laquelle "nous n'arrivons pas à l'humanité par étapes, en traversant la famille et la nation".
2) À partir des éléments précédents, dégagez l'idée principale du texte ainsi que les étapes de son argumentation.
[c] û commentaire
1) Pourquoi l'amour et le respect envers l'humanité sont-ils considérés comme une autre morale et une autre obligation qui viennent se superposer à la pression sociale ?
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si la religion et la philosophie sont les seules façons d'atteindre l'amour et le respect envers l'humanité.
Voici une possible analyse du texte de bergson :
- le texte traite de la question de la cohésion sociale et de l'amour de l'humanité, en les rapportant à deux sources différentes : la religion et la philosophie.
- dans le premier paragraphe, l'auteur expose l'idée que la cohésion sociale repose en grande partie sur la nécessité de se défendre contre les autres sociétés, et que l'amour des hommes avec qui on vit est d'abord un instinct primitif.
Il oppose ainsi l'amour naturel et direct des proches (parents, concitoyens) à l'amour indirect et acquis de l'humanité en général.
Il montre que cet amour universel n'est pas spontané, mais qu'il requiert un dépassement de soi, une médiation, une élévation.
Il utilise pour cela des expressions comme "nous ne venons que par un détour", "c'est seulement à travers", "nous n'arrivons pas par étapes".
Il s'appuie aussi sur des exemples concrets (la famille, la nation) pour illustrer son propos.
Il souligne ainsi le caractère contingent et relatif de la cohésion sociale fondée sur l'instinct.
- dans le deuxième paragraphe, l'auteur présente les deux sources qui permettent d'accéder à un amour plus universel et plus élevé de l'humanité : la religion et la philosophie.
Il explique que la religion invite l'homme à aimer le genre humain en dieu, c'est-à-dire en reconnaissant en chaque être humain une étincelle divine, une image de dieu.
Il explique que la philosophie invite l'homme à respecter l'humanité dans la raison, c'est-à-dire en reconnaissant en chaque être humain une dignité rationnelle, un droit au respect.
Il montre que ces deux sources ont en commun de faire appel à une transcendance, à quelque chose qui dépasse l'humanité elle-même, et qui permet de la considérer comme une fin et non comme un moyen.
Il utilise pour cela des expressions comme "à travers", "en", "par où nous communions tous", "dépasser".
Il s'appuie aussi sur des concepts abstraits (dieu, raison) pour illustrer son propos.
Il souligne ainsi le caractère absolu et universel de l'amour fondé sur la religion ou la philosophie.
- dans le troisième paragraphe, l'auteur conclut en affirmant que la religion et la philosophie introduisent une autre morale, un autre genre d'obligation, qui se superposent à la pression sociale.
Il oppose ainsi la morale fondée sur l'instinct, qui est une contrainte extérieure, à la morale fondée sur la religion ou la philosophie, qui est une exigence intérieure.
Il montre que ces deux morales ne sont pas incompatibles, mais qu'elles se complètent et se renforcent.
Il utilise pour cela des expressions comme "se superposer", "une autre".
Il s'appuie aussi sur des termes normatifs (amour, respect, obligation) pour illustrer son propos.
Il souligne ainsi le caractère progressif et perfectible de la morale humaine.
Le texte de bergson vise donc à montrer que l'amour de l'humanité n'est pas un sentiment naturel, mais qu'il résulte d'un effort spirituel qui s'appuie sur deux sources : la religion et la philosophie.
Il met en évidence les différences et les ressemblances entre ces deux sources, ainsi que leur complémentarité avec la morale sociale fondée sur l'instinct.
Il invite ainsi le lecteur à réfléchir sur les conditions et les enjeux de l'amour universel.