• Tocqueville
L'égalité et la religion : des forces opposées
religion - devoir



L' auteur :

Tocqueville

(1805-1859) Interroge la légitimité de la démocratie à l'aune de la redécouverte de l'Amérique et de l'établissement de ce nouveau monde à l'aune de ce qui se fait en Europe au même moment.

Le repère :

identité/égalité/ différence

Le texte :

« Il faut reconnaître que l'égalité, qui introduit de grands biens dans le monde, suggère cependant aux hommes des instincts fort dangereux ; elle tend à les isoler les uns des autres, pour porter chacun d'eux à ne s'occuper que de lui seul. Elle ouvre démesurément leur âme à l'amour des jouissances matérielles. Le plus grand avantage des religions est d'inspirer des instincts tout contraires. Il n'y a point de religion qui ne place l'objet des désirs de l'homme au-delà et au-dessus des biens de la terre, et qui n'élève naturellement son âme vers des régions fort supérieures à celles des sens. Il n'y en a point non plus qui n'impose à chacun des devoirs quelconques envers l'espèce humaine, ou en commun avec elle, et qui ne le tire ainsi, de temps à autre, de la contemplation de lui-même. Ceci se rencontre dans les religions les plus fausses et les plus dangereuses. Les peuples religieux sont donc naturellement forts précisément à l'endroit où les peuples démocratiques sont faibles ; ce qui fait bien voir de quelle importance il est que les hommes gardent leur religion en devenant égaux. »
Tocqueville, De la Démocratie en Amérique

Les questions :



[A] - Questions d'analyse
1) Quels sont les instincts dangereux suggérés par l'égalité selon l'auteur ?
2) En quoi l'égalité tend-elle à isoler les individus les uns des autres ?
3) Comment les religions inspirent-elles des instincts contraires à ceux suscités par l'égalité ?
4) Quels sont les devoirs imposés par les religions envers l'esp��ce humaine selon l'auteur ?

[B] - Éléments de synth��se
1) Expliquez en quoi l'égalité ouvre démesurément l'âme des individus à l'amour des jouissances matérielles.

L'analyse :

Voici un exemple de développement possible : dans ce texte, tocqueville analyse les rapports entre la religion et la démocratie, deux notions qui semblent a priori opposées.

Il cherche à montrer que la religion peut être un remède aux dangers que l'égalité fait courir aux hommes.



- il commence par reconnaître que l'égalité "introduit de grands biens dans le monde", ce qui est une concession à ses adversaires qui pourraient voir dans la religion un obstacle au progrès.

Il admet que l'égalité est une valeur positive, qui permet aux hommes de jouir de leurs droits et de leur liberté.



- mais il ajoute aussitôt que l'égalité "suggère aux hommes des instincts fort dangereux".

Il utilise le verbe "suggérer" pour indiquer que l'égalité n'est pas la cause directe de ces instincts, mais qu'elle les favorise ou les renforce.

Il s'agit donc d'un effet pervers ou involontaire de l'égalité.

Il énumère ensuite ces instincts : l'isolement, l'égo´sme, le matérialisme.

Il montre ainsi que l'égalité peut conduire à une dégradation des liens sociaux, à une perte du sens du bien commun, et à une réduction de l'homme à ses besoins physiques.



- il oppose alors la religion à l'égalité, en affirmant que "le plus grand avantage des religions est d'inspirer des instincts tout contraires".

Il emploie le pluriel pour désigner les religions, ce qui montre qu'il ne se réfère pas à une confession particulière, mais à un phénomène général.

Il souligne ensuite les deux aspects principaux de la religion : le transcendant et le social.

D'une part, la religion "place l'objet des désirs de l'homme au-delà et au-dessus des biens de la terre", ce qui signifie qu'elle élève son âme vers un idéal supérieur, qu'il s'agisse de dieu, du salut, ou de la vérité.

D'autre part, la religion "impose à chacun des devoirs quelconques envers l'espèce humaine", ce qui signifie qu'elle le rend solidaire avec ses semblables, qu'il s'agisse de charité, de justice, ou de fraternité.



- il conclut en affirmant que "les peuples religieux sont donc naturellement forts précisément à l'endroit où les peuples démocratiques sont faibles".

Il utilise le terme de "peuple" pour désigner les sociétés humaines organisées selon un régime politique.

Il oppose ainsi les peuples religieux, qui ont conservé leur foi malgré les changements historiques, aux peuples démocratiques, qui ont adopté l'égalité comme principe fondateur.

Il montre que la religion peut compenser les faiblesses de la démocratie, en préservant les valeurs morales et spirituelles qui lui font défaut.

Il termine par une exhortation : "ce qui fait bien voir de quelle importance il est que les hommes gardent leur religion en devenant égaux".

Il s'adresse donc aux lecteurs qui vivent dans des sociétés démocratiques, et il leur conseille de ne pas abandonner leur religion sous prétexte d'égalité.

Il suggère ainsi que la religion et la démocratie ne sont pas incompatibles, mais complémentaires.