• Locke
L'appropriation par le travail : la naissance de la propriété
-



Le contexte :

Dans ce texte tiré du "second traité du gouvernement civil", locke aborde la question de l'appropriation des biens par le travail. il explique que le fait de transformer des ressources communes en propriété privée nécessite un travail et que cette appropriation ne dépend pas du consentement de tous. locke met en avant le pouvoir du travail dans l'établissement de la propriété.

L' auteur :

Locke

(1632-1704) Philosophe du mouvement de l'empirisme anglais, qui stipule que toute connaissance dérive par nature de l'expérience. Toute sa philosophie fait découler des implications pratiques à partir de ce constat.

Le repère :

public/privé

Le texte :

« Celui qui se nourrit des glands qu'il a ramassés sous un chêne, ou des pommes qu'il a cueillies aux arbres d'un bois, se les est certainement appropriés. Personne ne peut nier que ces aliments soient à lui. Je demande donc : quand est-ce que ces choses commencent à être à lui ? Lorsqu'il les a digérées, ou lorsqu'il les a mangées, ou lorsqu'il les a fait bouillir, ou lorsqu'il les a rapportées chez lui, ou lorsqu'il les a ramassées ? Il est clair que si le fait, qui vient le premier, de les avoir cueillies ne les a pas rendues siennes, rien d'autre ne le pourrait. Ce travail a établi une distinction entre ces choses et ce qui est commun ; il leur a ajouté quelque chose de plus que ce que la nature, la mère commune de tous, y a mis ; et, par là, ils sont devenus sa propriété privée. Quelqu'un dira-t-il qu'il n'avait aucun droit sur ces glands et sur ces pommes qu'il s'est appropriés de la sorte, parce qu'il n'avait pas le consentement de toute l'humanité pour les faire siens ? était-ce un vol, de prendre ainsi pour soi ce qui appartenait à tous en commun ? si un consentement de ce genre avait été nécessaire, les hommes seraient morts de faim en dépit de l'abondance des choses […]. Nous voyons que sur les terres communes, qui le demeurent par convention, c'est le fait de prendre une partie de ce qui est commun et de l'arracher à l'état où la laisse la nature qui est au commencement de la propriété, sans laquelle ces terres communes ne servent à rien. Et le fait qu'on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du consentement explicite de tous. Ainsi, l'herbe que mon cheval a mangée, la tourbe qu'a coupée mon serviteur et le minerai que j'ai déterré, dans tous les lieux où j'y ai un droit en commun avec d'autres, deviennent ma propriété, sans que soit nécessaire la cession ou le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui était le mien, d'arracher ces choses de l'état de possessions communes où elles étaient, y a fixé ma propriété. »
Locke, Second Traité du gouvernement civil

Les questions :



[A] û Questions dÆanalyse
1) Quelles sont les actions que l'auteur mentionne comme étant nécessaires pour que les choses deviennent la propriété de quelqu'un ?
2) Pourquoi l'auteur souligne-t-il l'importance du travail dans l'appropriation des choses ?
3) Quels sont les exemples donnés par l'auteur pour illustrer son argumentation ?
4) Quelle est la relation entre le consentement de toute l'humanité et l'appropriation des choses selon l'auteur ?

[B] û Éléments de synth��se
1) Expliquez en quoi le travail est crucial dans le processus d'appropriation des choses selon l'auteur.
2) En vous basant sur les éléments précédents, résumez l'idée principale du texte ainsi que les étapes de l'argumentation de l'auteur.

[C] û Commentaire
1) Selon vous, est-il légitime d'acquérir la propriété des choses sans le consentement explicite de tous ? Justifiez votre réponse.
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si l'appropriation des ressources naturelles est un droit légitime.

L'analyse :

Voici un possible développement de l'analyse du texte : le texte de locke traite de la question de l'origine et de la légitimité de la propriété privée.

L'auteur cherche à montrer comment un homme peut s'approprier des choses qui sont à l'état de nature, sans le consentement des autres hommes, et sans commettre d'injustice.

Pour cela, il utilise un raisonnement par l'absurde, qui consiste à réfuter une thèse en montrant les conséquences absurdes qu'elle entraînerait.

Il part d'un exemple concret et simple : celui d'un homme qui se nourrit de glands ou de pommes qu'il a ramassés dans la nature.

Il s'agit de choses qui sont communes à tous les hommes, et qui n'ont pas été produites par le travail humain.

Locke se demande à quel moment ces choses deviennent la propriété de celui qui les consomme.

Il énumère plusieurs possibilités : quand il les a digérées, mangées, fait bouillir, rapportées chez lui, ou ramassées.

Il rejette toutes ces hypothèses, sauf la dernière, en affirmant que "si le fait, qui vient le premier, de les avoir cueillies ne les a pas rendues siennes, rien d'autre ne le pourrait".

Il pose ainsi le principe que c'est le travail qui est à l'origine de la propriété privée.

Le travail est entendu comme l'action par laquelle un homme modifie une chose naturelle pour la rendre utile à sa survie ou à son bien-être.

Par exemple, cueillir un fruit, le faire cuire, le transporter, etc.

Le travail est ce qui distingue les choses appropriées des choses communes, ce qui leur ajoute quelque chose de plus que ce que la nature y a mis, ce qui fixe la propriété de l'homme sur elles.

Locke anticipe ensuite une objection possible : n'est-ce pas un vol que de s'approprier ainsi des choses qui appartiennent à tous en commun ? ne faut-il pas le consentement de toute l'humanité pour faire siennes ces choses ? il répond par la négative, en invoquant deux arguments.

Le premier est pragmatique : il soutient que si un tel consentement était nécessaire, les hommes seraient morts de faim en dépit de l'abondance des choses.

Il suggère donc que la propriété privée est une condition nécessaire à la préservation de la vie humaine.

Le second argument est juridique : il affirme que c'est le fait de prendre une partie de ce qui est commun et de l'arracher à l'état où la laisse la nature qui est au commencement de la propriété, sans laquelle ces terres communes ne servent à rien.

Il implique donc que la propriété privée est une condition suffisante à l'utilisation des ressources naturelles.

Il illustre ce point par d'autres exemples : l'herbe que mange son cheval, la tourbe qu'a coupée son serviteur, le minerai qu'il a déterré.

Il répète que c'est le travail qui a fixé sa propriété sur ces choses, sans qu'il ait besoin du consentement ou de la cession de qui que ce soit.

Le texte de locke vise donc à justifier la propriété privée comme un droit naturel fondé sur le travail.

Il s'oppose ainsi à la conception du droit divin, selon laquelle dieu aurait donné la terre aux hommes en commun, et à celle du contrat social, selon laquelle les hommes auraient consenti à se partager les biens par un accord mutuel.

Il défend une conception individualiste et libérale de la propriété, qui repose sur l'idée que chaque homme est propriétaire de sa personne et de son travail, et qu'il peut donc disposer librement des choses qu'il a modifiées par son travail.

Il pose ainsi les bases d'une théorie du capitalisme et du marché.