Dans cet extrait de "la crise de la culture" d'arendt, l'auteure aborde la question de l'interprétation des faits historiques. elle souligne les difficultés rencontrées par les historiens pour extraire les faits d'un chaos d'événements et pour les raconter dans une perspective donnée. arendt défend l'existence de la matiàùre factuelle et s'oppose à la manipulation des faits au nom de la subjectivité.
(1906-1975) Philosophe politique et théoricienne de la pensée politique. Elle a développé des concepts influents tels que "la banalité du mal" et a exploré la nature de la condition humaine, la liberté, et la politique dans un monde moderne marqué par les totalitarismes et la violence.
objectif/subjectif/intersubjectif
« Est-ce qu'il existe aucun fait qui soit indépendant de l'opinion et de l'interprétation ? Des générations d'historiens et de philosophes de l'histoire n'ont-elles pas démontré l'impossibilité de constater des faits sans les interpréter, puisque ceux-ci doivent d'abord être extraits d'un chaos de purs événements (et les principes du choix ne sont assurément pas des données de fait), puis être arrangés en une histoire qui ne peut être racontée que dans une certaine perspective, qui n'a rien à voir avec ce qui a eu lieu à l'origine ? Il ne fait pas de doute que ces difficultés, et bien d'autres encore, inhérentes aux sciences historiques, soient réelles, mais elles ne constituent pas une preuve contre l'existence de la matière factuelle, pas plus qu'elles ne peuvent servir de justification à l'effacement des lignes de démarcation entre le fait, l'opinion et l'interprétation, ni d'excuse à l'historien pour manipuler les faits comme il lui plaît. Même si nous admettons que chaque génération ait le droit d'écrire sa propre histoire, nous refusons d'admettre qu'elle ait le droit de remanier les faits en harmonie avec sa perspective propre ; nous n'admettons pas le droit de porter atteinte à la matière factuelle elle-même. »
Arendt, La Crise de la culture
[A] - Questions d'analyse
1) Quelle est la problématique soulevée dans le texte ?
2) Que signifie l'expression "faits indépendants de l'opinion et de l'interprétation" ?
3) Comment les historiens et les philosophes de l'histoire ont-ils démontré l'impossibilité de constater des faits sans les interpréter ?
4) Quelles sont les difficultés inhérentes aux sciences historiques mentionnées dans le texte ?
[B] - Éléments de synth��se
1) Expliquez la phrase : "Ces difficultés ne constituent pas une preuve contre l'existence de la mati��re factuelle, pas plus qu'elles ne peuvent servir de justification à l'effacement des lignes de démarcation entre le fait, l'opinion et l'interprétation."
Voici un exemple de développement possible :
dans ce texte, arendt s'interroge sur la possibilité d'accéder à des faits historiques objectifs, indépendants de toute opinion et interprétation.
Elle reconnaît les difficultés que rencontrent les historiens pour établir et raconter les faits, mais elle refuse de renoncer à la distinction entre le fait, l'opinion et l'interprétation.
Elle défend ainsi l'idée qu'il existe une matière factuelle qui ne doit pas être altérée par les préjugés ou les intérêts de chaque génération.
Elle commence par poser une question rhétorique qui exprime le doute sur l'existence de faits purs, non soumis à l'interprétation.
Elle se réfère à l'autorité de "générations d'historiens et de philosophes de l'histoire" qui ont "démontré" l'impossibilité de constater des faits sans les interpréter.
Elle expose ensuite les raisons de cette impossibilité : les faits doivent être sélectionnés parmi un "chaos de purs événements", selon des "principes du choix" qui ne sont pas eux-mêmes des faits, et ils doivent être organisés en une "histoire" qui dépend d'une "perspective" particulière, différente de ce qui s'est réellement passé.
Elle utilise des termes comme "chaos", "extraits", "arrangés", "perspective", qui soulignent le travail subjectif et arbitraire de l'historien.
Elle admet que ces difficultés sont "réelles", mais elle refuse d'en tirer la conclusion que la matière factuelle n'existe pas ou qu'elle est indifférente.
Elle oppose à la question initiale une affirmation catégorique : "il ne fait pas de doute".
Elle récuse l'idée que ces difficultés puissent servir de "preuve", de "justification" ou d'"excuse" pour effacer ou manipuler les faits.
Elle emploie des termes comme "effacement", "remanier", "porter atteinte", qui expriment la violence faite aux faits par ceux qui les ignorent ou les déforment.
Elle affirme au contraire que les faits doivent être respectés et préservés, même si chaque génération a le droit d'écrire sa propre histoire.
Elle oppose ainsi le droit à l'interprétation au droit à la falsification.
Elle invoque un principe éthique qui limite la liberté de l'historien : "nous refusons d'admettre", "nous n'admettons pas".
Elle utilise le pluriel de majesté pour donner plus de force à son propos.
Elle défend donc l'idée qu'il existe une vérité historique fondée sur des faits, qui ne doit pas être confondue avec les opinions ou les interprétations variables des historiens.
Elle montre ainsi les enjeux épistémologiques et moraux de la distinction entre le fait, l'opinion et l'interprétation.