(1905-1980) Philosophe existentialiste français majeur du 20e siècle, Sartre a exploré la notion de la liberté, de la responsabilité individuelle et de l'absurdité de l'existence humaine. Il a développé des idées sur l'existentialisme, la mauvaise foi et l'authenticité.
formel/matériel
« En fait l'élément libérateur de l'opprimé, c'est le travail. En ce sens c'est le travail qui est d'abord révolutionnaire. Certes il est commandé et prend d'abord figure d'asservissement du travailleur : il n'est pas vraisemblable que celui-ci, si on ne le lui eût imposé, eût choisi de faire ce travail dans ces conditions et dans ce laps de temps pour ce salaire. Plus rigoureux que le maître antique, le patron va jusqu'à déterminer à l'avance les gestes et les conduites du travailleur. Il décompose l'acte de l'ouvrier en éléments, lui en ôte certains pour les faire exécuter par d'autres ouvriers, réduit l'activité consciente et synthétique du travailleur à n'être plus qu'une somme de gestes indéfiniment répétés. Ainsi tend-il à ravaler le travailleur à l'état de pure et simple chose en assimilant ses conduites à des propriétés. […] Voilà J'individu limité à une propriété constante qui le définit comme le poids atomique ou la température de fusion. Le taylorisme moderne ne fait pas autre chose. L'ouvrier devient l'homme d'une seule opération qu'il répète cent fois par jour ; il n'est plus qu'un objet et il serait enfantin ou odieux de raconter à une piqueuse de bottines ou à l'ouvrière qui pose les aiguilles sur le cadran de vitesse des automobiles Ford qu'elles conservent, au sein de l'action où elles sont engagées, la liberté intérieure de penser. Mais dans le même temps, le travail offre une amorce de libération concrète, même dans ces cas extrêmes, parce qu'il est d'abord négation de l'ordre contingent et capricieux qui est l'ordre du maître. Au travail, l'opprimé n'a plus le souci de plaire au maître, il échappe au monde de la danse, de la politesse, de la cérémonie, de la psychologie ; il n'a pas à deviner ce qui se passe derrière les yeux du chef, il n'est plus à la merci d'une humeur : son travail, certes, lui est imposé à l'origine et on lui en vole finalement le produit. Mais entre ces deux limites, il lui confère la maîtrise sur les choses ; le travailleur se saisit comme possibilité de faire varier à l'infini la forme d'un objet matériel en agissant sur lui selon certaines règles universelles. En d'autres termes, c'est le déterminisme de la matière qui lui offre la première image de sa liberté. »
Sartre, Matérialisme et révolution, in Situations III
[A] û Questions dÆanalyse
1) Quel est l'élément libérateur pour l'opprimé selon le texte ?
2) Que signifie le fait que le travail soit d'abord révolutionnaire ?
3) Comment le travail est-il assimilé à un asservissement du travailleur ?
4) Comment le travailleur se lib��re-t-il de l'ordre contingent et capricieux du maître grâce au travail ?
[B] û Éléments de synth��se
1) Expliquez la phrase : "Le travailleur se saisit comme possibilité de faire varier à l'infini la forme d'un objet matériel en agissant sur lui selon certaines r��gles universelles."
Voici un exemple de développement possible :
dans ce texte, sartre analyse le rapport entre le travail et la liberté des opprimés.
Il montre que le travail est à la fois une source d'aliénation et de libération pour le travailleur.
Il commence par affirmer que le travail est l'élément libérateur de l'opprimé, car il est révolutionnaire.
Il entend par là que le travail permet au travailleur de s'opposer à l'ordre établi par le maître, qui lui impose sa volonté et ses caprices.
Le travail est donc une forme de résistance et de contestation de l'autorité.
Mais il reconnaît aussitôt que le travail est aussi commandé et qu'il prend d'abord figure d'asservissement du travailleur.
Il explique que le travailleur n'a pas choisi son travail, ni ses conditions, ni son salaire.
Il subit donc une contrainte extérieure qui limite sa liberté.
Il illustre cette idée en prenant l'exemple du taylorisme, qui décompose le travail en gestes simples et répétitifs, et qui réduit le travailleur à une chose, à une propriété constante.
Le travailleur perd ainsi sa conscience et sa synthèse, il n'est plus qu'un rouage de la machine.
Mais il nuance ensuite cette vision pessimiste du travail en montrant qu'il offre aussi une amorce de libération concrète, même dans les cas extrêmes.
Il explique que le travail permet au travailleur d'échapper au monde de la séduction, de la politesse, de la psychologie, qui sont les moyens par lesquels le maître exerce son pouvoir.
Le travailleur n'a plus à plaire au maître, ni à deviner ses intentions, il n'est plus à la merci de ses humeurs.
Il se concentre sur son action sur les choses, qu'il peut transformer selon des règles universelles.
Il découvre ainsi le déterminisme de la matière, qui lui offre la première image de sa liberté.
Le travailleur se saisit comme possibilité de faire varier la forme d'un objet matériel, il exprime sa créativité et son autonomie.
On peut donc conclure que sartre expose dans ce texte une conception dialectique du travail, qui est à la fois aliénant et libérateur pour le travailleur.
Il met en évidence les contradictions du rapport entre le maître et l'esclave, qui sont tous deux dépendants l'un de l'autre.
Il invite à réfléchir sur les conditions d'un travail authentique, qui respecterait la liberté et la dignité du travailleur.