Dans ce texte, russell explore la différence entre la certitude que nous ressentons vis-à -vis des vérités mathématiques, telles que "deux et deux font quatre", et les généralisations empiriques, comme "tous les hommes sont mortels". il met en évidence le sentiment de nécessité absolu associé aux vérités mathématiques, qui ne peut être remis en question, contrairement aux généralisations empiriques qui sont sujettes au doute.
contingent/nécessaire
« Nous n'avons pas le sentiment que de nouveaux exemples accroissent notre certitude que deux et deux font quatre, parce que dès que la vérité de cette proposition est comprise, notre certitude est si grande qu'elle n'est pas susceptible d'augmenter. De plus, nous éprouvons concernant la proposition �oedeux et deux font quatre” un sentiment de nécessité qui est absent même dans le cas des généralisations empiriques les mieux attestées. C'est que de telles généralisations restent de simples faits : nous sentons qu'un monde où elles seraient fausses est possible, même s'il se trouve qu'elles sont vraies dans le monde réel. Dans tous les mondes possibles, au contraire, nous éprouvons le sentiment que deux et deux feraient toujours quatre : ce n'est plus un simple fait, mais une nécessité à laquelle tout monde, réel ou possible, doit se conformer. Pour éclaircir ce point, prenons une vraie généralisation empirique, comme �oeTous les hommes sont mortels”. Nous croyons à cette proposition, d'abord parce qu'il n'y a pas d'exemple connu d'homme ayant vécu au-delà d'un certain âge, ensuite parce que des raisons tirées de la physiologie nous font penser qu'un organisme comme le corps humain doit tôt ou tard se défaire. Laissons de côté le second point, et considérons seulement notre expérience du caractère mortel de l'homme : il est clair que nous ne pouvons nous satisfaire d'un seul exemple, fût-il clairement attesté, de mort d'homme, alors qu'avec �oedeux et deux font quatre”, un seul cas bien compris suffit à nous persuader qu'il en sera toujours de même. Enfin nous devons admettre qu'il peut à la réflexion surgir quelque doute sur la question de savoir si vraiment tous les hommes sont mortels. Imaginons, pour voir clairement la différence, deux mondes, l'un où certains hommes ne meurent pas, l'autre où deux et deux font cinq. Quand Swift nous parle de la race immortelle des Struldbrugs, nous pouvons le suivre par l'imagination. Mais un monde où deux et deux feraient cinq semble d'un tout autre niveau. Nous l'éprouverions comme un bouleversement de tout l'édifice de la connaissance, réduit à un état d'incertitude complète. »
Russell, Problèmes de philosophie
[A] - Questions d'analyse :
1) Quel est le sentiment que nous éprouvons à propos de la proposition "deux et deux font quatre" ?
2) Quelle est la différence entre notre certitude concernant la proposition "deux et deux font quatre" et les généralisations empiriques ?
3) Pourquoi les généralisations empiriques restent-elles des faits simples alors que la proposition "deux et deux font quatre" devient une nécessité ?
4) Comment expliquer que notre expérience du caract��re mortel de l'homme nécessite plus d'exemples que la proposition "deux et deux font quatre" pour être acceptée ?
Voici une possible analyse du texte de russell :
- le texte traite de la différence entre les vérités logiques, comme "deux et deux font quatre", et les généralisations empiriques, comme "tous les hommes sont mortels".
L'auteur cherche à montrer que les premières ont un caractère de nécessité et de certitude qui les distingue des secondes, qui restent de simples faits contingents et probables.
- il commence par affirmer que nous n'avons pas besoin de multiplier les exemples pour être convaincus que deux et deux font quatre, car dès que nous comprenons le sens de cette proposition, nous en saisissons la vérité avec une certitude absolue.
Il oppose ce sentiment de nécessité à celui qui accompagne les généralisations empiriques, même les plus vérifiées, qui ne nous semblent jamais exclure la possibilité d'un monde où elles seraient fausses.
Il illustre ce point en comparant "deux et deux font quatre" à "tous les hommes sont mortels".
- il poursuit en analysant les raisons qui nous font croire à la mortalité de tous les hommes.
Il distingue deux types de raisons : l'expérience et la physiologie.
Il se concentre sur le premier, et montre qu'il repose sur l'absence d'exemple contraire, mais qu'il ne suffit pas à nous persuader qu'un seul cas bien attesté de mort d'homme.
Il souligne ainsi la différence avec la vérité logique, qui n'a pas besoin d'être confirmée par l'expérience.
- il termine en reconnaissant qu'il peut subsister un doute sur la généralisation empirique, même si elle est fondée sur des raisons physiologiques.
Il propose alors une expérience de pensée consistant à imaginer deux mondes possibles, l'un où certains hommes ne meurent pas, l'autre où deux et deux font cinq.
Il soutient que le premier monde est concevable, même s'il est contraire à notre expérience, tandis que le second est inconcevable, car il remettrait en cause tout l'édifice de la connaissance.
Il conclut ainsi que les vérités logiques ont un caractère de nécessité universelle et incontestable, qui les rend différentes des vérités empiriques.