• Nietzsche
temps - travail



L' auteur :

Nietzsche

(1844-1900) Répond aux attaques faites à l'encontre de la philosophie à son époque : elle serait inutile et incertaine, contrairement aux nouvelles sciences expérimentales et humaines. Toute sa philosophie vise à contredire cette invective.

Le repère :

contingent/nécessaire

Le texte :

« Ne venez surtout pas me parler de dons naturels, de talents innés ! On peut citer dans tous les domaines de grands hommes qui étaient peu doués. Mais la grandeur leur est venue, ils se sont faits �oegénies” (comme on dit), grâce à certaines qualités dont personne n'aime à trahir l'absence quand il en est conscient ; ils possédaient tous cette solide conscience artisanale qui commence par apprendre à parfaire les parties avant de se risquer à un grand travail d'ensemble ; ils prenaient leur temps parce qu'ils trouvaient plus de plaisir à la bonne facture du détail, de l'accessoire, qu'à l'effet produit par un tout éblouissant. Il est facile, par exemple, d'indiquer à quelqu'un la recette pour devenir bon nouvelliste, mais l'exécution en suppose des qualités sur lesquelles on passe en général en disant : �oeje n'ai pas assez de talent”. Que l'on fasse donc cent projets de nouvelles et davantage, aucun ne dépassant deux pages, mais d'une précision telle que chaque mot y soit nécessaire ; que l'on note chaque jour quelques anecdotes jusqu'à savoir en trouver la forme la plus saisissante, la plus efficace, que l'on ne se lasse pas de collectionner et de brosser des caractères et des types d'humanité, que l'on ne manque surtout pas la moindre occasion de raconter et d'écouter raconter, l'ūil et l'oreille attentifs à l'effet produit sur les autres, que l'on voyage comme un paysagiste, comme un dessinateur de costumes, que l'on extraie d'une science après l'autre tout ce qui, bien exposé, produit un effet d'art, que l'on réfléchisse enfin aux motifs des actions humaines, ne dédaigne aucune indication qui puisse en instruire, et soit jour et nuit à collectionner les choses de ce genre. On laissera passer une bonne dizaine d'années en multipliant ces exercices, et ce que l'on créera alors en atelier pourra se montrer aussi au grand jour de la rue. »
Nietzsche, Humain, trop humain

Les questions :



[A] - Questions d'analyse
1) Comment les grands hommes cités dans le texte sont-ils devenus des "génies" malgré leur manque de dons naturels ou de talents innés ?
2) Quelle est l'importance de la conscience artisanale dans le processus de devenir un "génie" ?
3) Quels sont les conseils donnés pour devenir un bon nouvelliste ?
4) Comment le fait de collectionner des anecdotes et des caract��res d'humanité peut-il aider à devenir un "génie" dans le domaine de l'écriture ?

[B] - Éléments de synth��se
1) Expliquez en quoi consiste la "solide conscience artisanale" mentionnée dans le texte.
2) En vous basant sur les éléments précédents, dégagez l'idée principale du texte ainsi que les étapes suggérées pour devenir un "génie" dans un domaine donné.

[C] - Commentaire
1) Selon vous, pourquoi l'auteur insiste-t-il sur le fait que les dons naturels et les talents innés ne sont pas essentiels pour devenir un "génie" ?
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si vous êtes d'accord avec l'idée que la pratique, l'apprentissage et l'observation sont les clés pour devenir un "génie" dans un domaine donné.

L'analyse :

Voici un exemple de commentaire linéaire du texte de nietzsche :

- le texte est un extrait de humain, trop humain, une £uvre de nietzsche publiée en 1878, qui se présente comme une série d'aphorismes sur divers sujets philosophiques, moraux, culturels ou artistiques.

Le texte appartient au chapitre intitulé "de l'esprit libre", qui traite de la question du génie et de la création.

L'auteur y défend l'idée que le génie n'est pas un don naturel, mais le résultat d'un travail acharné et méthodique.



- dans le premier paragraphe, nietzsche affirme sa thèse avec force et exclut toute idée de dons naturels ou de talents innés.

Il utilise des formules négatives ("ne venez surtout pas me parler", "peu doués", "personne n'aime à trahir l'absence") et des guillemets ironiques ("génies") pour marquer son opposition à la conception commune du génie.

Il oppose à cette conception celle d'une "solide conscience artisanale" qui repose sur l'apprentissage, la perfection, le temps et le plaisir.

Il s'appuie sur des exemples historiques ("dans tous les domaines de grands hommes") pour illustrer sa thèse et montrer que le génie est une construction et non une donnée.



- dans le deuxième paragraphe, nietzsche prend l'exemple du nouvelliste pour expliquer sa méthode de travail.

Il utilise le mode impératif ("que l'on fasse", "que l'on note", "que l'on réfléchisse") pour donner des conseils pratiques et précis.

Il insiste sur la quantité ("cent projets", "davantage", "chaque jour", "jour et nuit"), la qualité ("précision", "efficace", "bien exposé"), la diversité ("anecdotes", "caractères", "types d'humanité", "paysagiste", "dessinateur", "science") et la réflexion ("motifs des actions humaines") qui doivent caractériser le travail du nouvelliste.

Il montre ainsi que le génie est une affaire de discipline et d'exercice.



- dans le troisième paragraphe, nietzsche conclut en évoquant le résultat du travail accompli.

Il utilise une métaphore filée de l'artisanat ("en atelier", "au grand jour de la rue") pour souligner que le génie est une £uvre d'art qui peut être exposée et admirée.

Il introduit une notion de temps ("on laissera passer une bonne dizaine d'années") pour rappeler que le génie n'est pas immédiat, mais qu'il demande patience et persévérance.



- le texte de nietzsche vise donc à remettre en cause l'idée reçue du génie comme un don inné et à valoriser le génie comme un travail conscient et méthodique.

Il s'inscrit dans une perspective humaniste qui met en avant la capacité de l'homme à se perfectionner par l'effort et la réflexion.

Il invite le lecteur à adopter une attitude critique et exigeante face à la création artistique.