(1844-1900) Répond aux attaques faites à l'encontre de la philosophie à son époque : elle serait inutile et incertaine, contrairement aux nouvelles sciences expérimentales et humaines. Toute sa philosophie vise à contredire cette invective.
identité/égalité/différence
« Dans les pays civilisés presque tous les hommes maintenant sont égaux en ceci qu'ils cherchent du travail en vue du salaire ; pour eux tous, le travail est un moyen et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant. Or il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler sans que le travail leur procure de la joie : ils sont minutieux et difficiles à satisfaire, ils ne se contentent pas d'un gain abondant, lorsque le travail n'est pas lui-même le gain de tous les gains. De cette espèce d'hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toute espèce, mais aussi ces désūuvrés qui consacrent leur vie à la chasse, aux voyages ou bien aux intrigues d'amour et aux aventures. Tous ceux-là cherchent le travail et la peine lorsqu'ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, si cela est nécessaire. Mais autrement ils sont d'une paresse décidée, quand même cette paresse devrait entraîner l'appauvrissement, le déshonneur, des dangers pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent pas autant l'ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d'ennui pour que leur propre travail puisse leur réussir. Pour le penseur et pour tous les esprits inventifs l'ennui est ce désagréable �oecalme plat” de l'âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre l'effet à part eux. »
Nietzsche, Le Gai Savoir (1882)
[A] - Questions d'analyse
1) Quelle est la différence entre les hommes qui cherchent du travail pour le salaire et ceux qui préf��rent périr plut��t que de travailler sans joie ?
2) Comment les artistes et les contemplatifs sont-ils décrits dans le texte ?
3) Quelle est l'attitude des hommes qui préf��rent le travail lorsqu'il est mêlé de plaisir ? Et lorsqu'il ne procure pas de plaisir ?
4) Quelle est la relation entre l'ennui et le travail pour les penseurs et les esprits inventifs selon le texte ?
[B] - Éléments de synth��se
Voici une possible analyse du texte de nietzsche :
- le texte oppose deux conceptions du travail : celle qui le considère comme un moyen de gagner sa vie, et celle qui le recherche pour le plaisir qu'il procure.
L'auteur défend la seconde conception, qu'il associe à des hommes rares, artistes, contemplatifs ou aventuriers, qui sont capables de choisir leur travail selon leur go¹t et leur passion, quitte à en subir les conséquences négatives.
Il critique la première conception, qu'il attribue à la majorité des hommes civilisés, qui se contentent d'un travail quelconque, pourvu qu'il soit rémunérateur.
Il montre ainsi que le travail n'est pas une valeur universelle, mais qu'il dépend du sens que chacun lui donne.
- pour établir son point de vue, l'auteur utilise plusieurs procédés rhétoriques : il oppose les termes "presque tous" et "rares", "moyen" et "but", "finesse" et "abondant", "périr" et "travailler", "minutieux" et "difficiles" et "content", "joie" et "plaisir" et "paresse" et "ennui", pour souligner le contraste entre les deux types d'hommes qu'il décrit.
Il emploie des expressions fortes comme "préfèrent périr", "consacrent leur vie", "d'une paresse décidée", pour marquer l'intensité de leur choix.
Il recourt à des exemples concrets comme la chasse, les voyages, les intrigues d'amour, pour illustrer la diversité des activités qui peuvent être sources de plaisir.
Il utilise le mode conditionnel ("si cela est nécessaire", "si leur propre travail leur réussit") pour indiquer la dépendance de ces hommes à leur désir et à leur inspiration.
Il fait appel à des images comme le "calme plat" de l'âme, la course heureuse, les vents joyeux, pour évoquer le processus créatif des penseurs et des inventifs.
- l'enjeu du texte est de remettre en question l'idée commune selon laquelle le travail serait une valeur positive en soi, une obligation morale ou sociale, une source de dignité ou de bonheur.
L'auteur veut montrer que le travail n'a de sens que s'il correspond à une aspiration personnelle, à une expression de soi, à une satisfaction intérieure.
Il veut valoriser les hommes qui ont le courage de suivre leur vocation, même au prix de sacrifices ou de risques.
Il veut dénoncer les hommes qui se soumettent au travail sans plaisir, par conformisme ou par cupidité.
Il veut faire réfléchir sur le rapport entre le travail et la liberté, entre le travail et la civilisation, entre le travail et la joie.