• Nietzsche
Les erreurs de jugement dans nos relations avec autrui
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Le contexte :

Ce texte interpelle notre attitude envers les actions des autres. il souligne notre tendance à  ne juger que selon les conséquences de ces actions pour nous-mêmes, attribuant ainsi des intentions permanentes à  autrui et le définissant par nos propres expériences passées. nietzsche critique cette approche en soulignant son origine animale et en remettant en question l'idée que nous devrions être le principe du bien, déterminant le bien et le mal selon notre propre perspective.

L' auteur :

Nietzsche

(1844-1900) Répond aux attaques faites à l'encontre de la philosophie à son époque : elle serait inutile et incertaine, contrairement aux nouvelles sciences expérimentales et humaines. Toute sa philosophie vise à contredire cette invective.

Le repère :

identité/égalité/différence

Le texte :

« Quelle est donc notre attitude vis-à-vis des actes de notre prochain ? ※ Tout d'abord, nous regardons ce qui résulte pour nous de ces actes, ※ nous ne les jugeons que de ce point de vue. C'est cet effet causé sur nous que nous considérons comme l'intention de l'acte ※ et enfin nous lui attribuons de telles intentions en tant que disposition permanente chez lui, et nous en faisons désormais, par exemple, �oeun homme dangereux”. Triple erreur ! Triple méprise, vieille comme le monde ! Peut-être cet héritage nous vient-il des animaux et de leur faculté de jugement. Ne faut-il pas chercher l'origine de toute morale dans ces horribles petites conclusions : �oeCe qui me nuit est quelque chose de mauvais (qui porte préjudice par soi-même) ; ce qui m'est utile est bon (bienfaisant et profitable par soi-même) ; ce qui me nuit une ou plusieurs fois m'est hostile par soi-même ; ce qui m'est utile une ou plusieurs fois m'est favorable par soi-même.” û honteuse origine ! Cela ne veut-il pas dire : interpréter les relations pitoyables, occasionnelles et accidentelles qu'un autre peut avoir avec nous comme si ces relations étaient l'essence et le fond de son être, et prétendre qu'envers tout le monde et envers soi-même il n'est capable que de rapports semblables aux rapports que nous avons eus avec lui une ou plusieurs fois ? Et derrière cette véritable folie n'y a-t-il pas la plus immodeste de toutes les arrière-pensées : croire qu'il faut que nous soyons nous-mêmes le principe du bien puisque le bien et le mal se déterminent d'après nous ? »
Nietzsche, Aurore (1887)

Les questions :



[A] û Questions d'analyse
1) Quelle est la perspective adoptée par l'auteur pour aborder les actes de notre prochain dans ce texte ?
2) Comment l'auteur définit-il l'intention des actes de notre prochain et quel lien établit-il entre cette intention et l'effet sur nous ?
3) Selon l'auteur, quelle erreur fondamentale commet-on en attribuant des intentions permanentes à autrui en fonction de ses actes ?
4) L'auteur évoque l'origine de cette perspective morale. Quelle est-elle, et en quoi la consid��re-t-il comme honteuse ?

[B] û Éléments de synth��se
1) Expliquez en quoi l'auteur critique la façon dont nous interprétons les actes de notre prochain et comment nous leur attribuons des intentions.
2) En vous basant sur les réponses précédentes, dégagez l'idée principale du texte et les étapes de l'argumentation de l'auteur.

[C] û Commentaire
1) Nietzsche consid��re-t-il que notre perspective morale est fondée sur des bases solides ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte.
2) À la lumi��re de vos connaissances et de vos lectures, et en tenant compte du texte, vous vous demanderez si Nietzsche remet en question la notion de jugement moral basée sur les conséquences des actions d'autrui.

L'analyse :

Voici un exemple de développement possible : dans ce texte, nietzsche s'interroge sur la façon dont nous jugeons les actes de notre prochain, c'est-à-dire les autres êtres humains.

Il critique trois erreurs que nous commettons couramment dans ce jugement, et qu'il considère comme la source de toute morale.

Il s'agit donc d'un texte argumentatif, qui vise à remettre en cause les fondements de la morale traditionnelle.

La première erreur que nous faisons est de regarder ce qui résulte pour nous des actes des autres, et de ne les juger que de ce point de vue.

Autrement dit, nous ne cherchons pas à comprendre les motifs, les intentions ou les circonstances qui ont conduit l'autre à agir, mais nous nous focalisons sur les conséquences que son action a sur nous.

Par exemple, si quelqu'un nous blesse, nous le jugeons comme méchant, sans tenir compte du fait qu'il ait pu le faire par inadvertance, par ignorance ou par nécessité.

La deuxième erreur que nous faisons est de considérer cet effet causé sur nous comme l'intention de l'acte.

Cela signifie que nous attribuons à l'autre une volonté délibérée de nous nuire ou de nous aider, selon que son action nous soit préjudiciable ou bénéfique.

Par exemple, si quelqu'un nous rend un service, nous le jugeons comme bienveillant, sans tenir compte du fait qu'il ait pu le faire par intérêt, par hasard ou par obligation.

La troisième erreur que nous faisons est d'attribuer à l'autre de telles intentions en tant que disposition permanente chez lui, et d'en faire désormais un type d'homme.

Cela implique que nous généralisons à partir d'un ou de quelques actes isolés, et que nous enfermons l'autre dans une catégorie fixe et immuable.

Par exemple, si quelqu'un nous ment une fois, nous le jugeons comme menteur, sans tenir compte du fait qu'il ait pu le faire pour une raison exceptionnelle, ou qu'il puisse changer par la suite.

Ces trois erreurs sont selon nietzsche des triple méprises, vieilles comme le monde.

Il suggère qu'elles sont héritées des animaux et de leur faculté de jugement limitée.

Il pose ainsi la question de l'origine de la morale, qu'il situe dans ces horribles petites conclusions qui consistent à confondre ce qui nous nuit ou nous est utile avec ce qui est mauvais ou bon en soi, et à considérer l'autre comme hostile ou favorable par soi-même.

Il dénonce ainsi une origine honteuse de la morale, qui repose sur une véritable folie et sur la plus immodeste des arrière-pensées : celle de croire que nous sommes le principe du bien et que le bien et le mal se déterminent d'après nous.

On peut donc dire que nietzsche remet en cause la validité universelle et objective de la morale traditionnelle, qu'il réduit à une interprétation subjective et égocentrique des rapports avec autrui.

Il invite ainsi à dépasser ces erreurs et ces méprises, et à adopter une attitude plus critique et plus nuancée vis-à-vis des actes de notre prochain.