Dans ce passage, bergson aborde la question de la division des sociétés en classes subordonnées et met en évidence l'illusion de la supériorité innée qui peut être entretenue par les dirigeants. il souligne que cette illusion est renforcée par le privilàùge héréditaire et la prédisposition de l'homme à croire en une hiérarchie naturelle.
(1859-1941) Remet en question la vision selon laquelle l'histoire viserait un progrès dans les sciences. Il propose une nouvelle philosophie permettant d'analyser le contenu conscient de l'expérience immédiate.
origine/fondement
« Il n'est pas douteux […] que la force n'ait été à l'origine de la division des anciennes sociétés en classes subordonnées les unes aux autres. Mais une subordination habituelle finit par sembler naturelle, et elle se cherche à elle-même une explication : si la classe inférieure a accepté sa situation pendant assez longtemps, elle pourra y consentir encore quand elle sera devenue virtuellement la plus forte, parce qu'elle attribuera aux dirigeants une supériorité de valeur. Cette supériorité sera d'ailleurs réelle s'ils ont profité des facilités qu'ils se trouvaient avoir pour se perfectionner intellectuellement et moralement ; mais elle pourra aussi bien n'être qu'une apparence soigneusement entretenue. Quoi qu'il en soit, réelle ou apparente, elle n'aura qu'à durer pour paraître congénitale : il faut bien qu'il y ait supériorité innée, se dit-on, puisqu'il y a privilège héréditaire. La nature, qui a voulu des sociétés disciplinées, a prédisposé l'homme à cette illusion. »
Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932)
[A] û Questions dÆanalyse
1) Quel élément a été à l'origine de la division des anciennes sociétés en classes subordonnées ?
2) Comment une subordination habituelle peut-elle finir par sembler naturelle ?
3) Quelle explication se cherche la classe inférieure pour justifier sa situation de subordination ?
4) En quoi la supériorité des dirigeants peut-elle être réelle ou apparente ?
[B] û Eléments de synth��se
1) Expliquez en vos mots la phrase : "si la classe inférieure a accepté sa situation pendant assez longtemps, elle pourra y consentir encore quand elle sera devenue virtuellement la plus forte, parce qu'elle attribuera aux dirigeants une supériorité de valeur."
2) En vous aidant des éléments précédents, de quelle illusion parle Bergson dans ce texte ? Qu'est-ce qui la renforce ?
[C] û Commentaire
1) Selon Bergson, pourquoi les sociétés humaines sont-elles prédisposées à croire en la supériorité innée des dirigeants ?
Voici un possible développement de l'analyse du texte :
dans ce texte, bergson s'intéresse à l'origine et à la justification de la division des sociétés en classes hiérarchisées.
Il distingue deux moments dans ce processus : un moment historique, où la force est le critère de la domination, et un moment psychologique, où la subordination devient naturelle et légitime.
- au début du texte, bergson affirme que la force a été le facteur déterminant de la répartition des anciennes sociétés en classes subordonnées les unes aux autres.
Il utilise l'expression "il n'est pas douteux" pour marquer la certitude de cette thèse, qu'il appuie sur des faits historiques.
Il suggère ainsi que la violence et la contrainte ont été les moyens par lesquels une minorité a imposé son pouvoir sur une majorité.
L'enjeu de cette affirmation est de montrer que la hiérarchie sociale n'est pas fondée sur une différence naturelle ou essentielle entre les hommes, mais sur une circonstance contingente et arbitraire.
- ensuite, bergson explique que cette subordination habituelle finit par sembler naturelle, et qu'elle se cherche à elle-même une explication.
Il utilise le terme "finir" pour indiquer qu'il y a un changement progressif dans la perception de la situation sociale, qui passe de l'acceptation forcée au consentement volontaire.
Il emploie aussi le verbe "sembler" pour souligner qu'il s'agit d'une apparence trompeuse, qui masque la réalité historique.
Il montre ainsi que la classe inférieure, qui pourrait se révolter si elle prenait conscience de sa force potentielle, se résigne à sa condition en attribuant aux dirigeants une supériorité de valeur.
L'enjeu de cette explication est de mettre en évidence le rôle de l'illusion dans la perpétuation de la domination.
- enfin, bergson examine les conditions de possibilité et les conséquences de cette illusion.
Il distingue deux cas : celui où la supériorité des dirigeants est réelle, parce qu'ils ont profité de leur situation privilégiée pour se perfectionner intellectuellement et moralement, et celui où elle n'est qu'une apparence soigneusement entretenue, par des moyens tels que l'éducation, la propagande ou la religion.
Il remarque que, dans les deux cas, cette supériorité n'a qu'à durer pour paraître congénitale, c'est-à-dire innée et héréditaire.
Il utilise le verbe "paraître" pour rappeler qu'il s'agit encore d'une apparence, qui ne correspond pas à la réalité biologique.
Il attribue cette illusion à une prédisposition naturelle de l'homme, qui serait favorable à l'ordre social.
L'enjeu de cette analyse est de dénoncer le caractère illusoire et injuste de la hiérarchie sociale, qui repose sur une confusion entre le fait et le droit, entre l'histoire et la nature.